samedi 20 décembre 2008

Ma Mission dans la Sud de 1978 à 1988

Dix années de Défis, d'Angoisse, de Sacrifices, de Succès et de Déception

Ma promotion dans le Sud que je considère comme un satisfecit à ma mission à Jacmel, constituait un nouveau défi pour ma vie professionnelle. Il est vrai qu’il existait un plan national de santé et des manuels de planification des activités des différentes catégories d’institutions, mais l’organisation des bureaux de région et de district restait encore floue. En partant pour les Cayes à l’occasion d’une rencontre avec le responsable de la régionalisation, je lui ai demandé ce que le bureau central attendait de moi, il m’a répondu : nous comptons sur votre compétence et vos expériences pour la mise en place de la région. Signalons que la région Nord était lancée depuis déjà deux années, et tout le monde en parlait. Le premier défi consistait à inverser la situation, mettre le Sud à l’avant-garde du progrès.

À l’époque l’OPS/OMS assistait les bureaux régionaux avec deux consultants à temps plein un médecin et une infirmière spécialistes en santé publique avec expérience en régionalisation. Mais disons que moi j’avais obtenu ma maîtrise dans un pays où le secteur santé était régionalisé.

Jusqu’ici, je rêvais de poursuivre mes études en épidémiologie avancée pour devenir épidémiologue et professeur d’épidémiologie. À partir de ce nouveau poste administratif, je me suis fixée définitivement dans l’administration et par des sessions de courte durée je vais de préférence approfondir mes connaissances en gestion financière, technique de supervision, gestion de programme spécifiques de santé publique et technique de planification budgétaire et gestion de désastres. Durant dix longues années j’ai œuvrée pour le bien être de la population des deux départements.

Quelques mois après mon arrivée aux Cayes, à l’occasion de mon anniversaire, le personnel fit célébrer une messe d’action de grâce à la chapelle de l’hôpital dédiée à l’Immaculée Conception, au moment de la consécration je me suis sentie transportée et j’ai ressentie l’invitation à recevoir le corps du Christ. Rien ne pouvait me retenir ce jour là. Je me suis présentée à la sainte table et j’ai renoué avec mon Sauveur l’alliance rompue depuis plusieurs années. Ce fut la fin de mes souffrances sur le plan spirituel, un nouveau pas a été franchi dans mes relations avec Dieu. Pendant les dix années passées aux Cayes j’ai développé de grandes amitiés avec plusieurs prêtres surtout les oblats qui étaient très actifs dans le développement et la santé. L’un de mes amis prêtres va devenir par la suite, mon conseiller spirituel.

Je poursuis ma route avec la même foi, le même engagement à l’endroit des pauvres et des plus faibles. Les jours n’étaient pas toujours roses, contrairement aux années antérieures. Il m’arrivait des fois à manquer l’essentiel. Mais rien ne pouvait atténuer chez moi l’esprit d’intégrité et d’honnêteté ainsi que mon niveau d’engagement envers la population. Entre temps, quatre années se sont écoulées, mon fils a eu six ans et rentra à la grande école chez les frères de l’Instruction Chrétienne aux Cayes. Frappé d’une rétinite à toxoplasmose sa maladie va renforcer mes liens avec Dieu, puisque à l’occasion je vais le consacrer à la Vierge.

Dans le Sud il n’y avait que le district des Cayes a disposé d’une certaine organisation qui méritait d’être renforcée. Le district de Jérémie se confondait avec l’hôpital et celui de Miragoâne n’existait que sur du papier. Je me suis mise au travail afin de réaliser le diagnostic de situation et élaborer un plan d’action incluant un système d’organisation pour le bureau régional, les bureaux de district et l’hôpital régional. Compte tenu des difficultés d’accès et du manque de ressources financières et matériel roulant un seul véhicule, mille cinq cent gourdes de petite caisse pour le fonctionnement du bureau régional, nous avons mis six mois pour réaliser cette première action qui devrait nous permettre de rationaliser notre travail.

La couverture sanitaire très faible au moment du diagnostic va être portée à un niveau acceptable par la construction et la mise en fonctionnement d’un réseau de dix neuf dispensaires, sept centres de santé avec lits, sept centres de santé sans lit, deux hôpitaux, la réhabilitation de deux dispensaires, de quatre centres de santé avec lits, deux centres sans lit, deux hôpitaux , la formation et le déploiement de cent soixante agents de santé communautaires répartis dans les sections communales reculées et inaccessibles. Chaque agent avait la responsabilité directe de mille cinq cent à deux milles habitants, chaque dispensaire desservait quatre à cinq mille habitants et supervisait trois à quatre agents de santé. Chaque centre de santé desservait entre six et dix mille habitants suivant l’importance de l’agglomération et supervisait entre quatre et six agents de santé suivant le nombre de sections et le degré d’enclavement des localités.

Les hôpitaux disposaient des agents communautaires qui travaillaient dans les villes, dans le cadre du programme de santé materno infantile et de planification familiale. Les nouvelles institutions ajoutées aux anciennes formaient un ensemble de quatre vingt cinq établissements de santé complètement fonctionnels.

Je dois dire qu’aux Cayes il n’y avait pas un niveau de corruption aussi élevé qu’à Jacmel. À part quelques rares exceptions, les médecins établissaient pour la plupart une nette distinction entre leur pratique privée et le travail de l’hôpital. De plus à la tête de chacun des hôpitaux, il y avait un directeur très dévoué, qui assumait la responsabilité de maintenir l’ordre, la discipline et le respect des malades. Puisqu’ils étaient tous trois obstétriciens, bien encadrés du point de vue santé publique par le bureau régional, les bureaux de district et la direction d’hygiène familiale, leur action avait permis de réduire la mortalité maternelle et infantile. En une année à l’hôpital des Cayes la mortalité en pédiatrie est passée de trente à onze pour cent, grâce à l’introduction du sérum oral, l’éducation des parents et l’affectation d’un pédiatre.

Nous avions tous dirigeants et dirigés un seul leitmotiv : atteindre l’objectif santé pour tous en l’an 2000. Aussi aucun sacrifice n’était trop grand pour l’ensemble du personnel. Nous étions en l’année 1982 quand après le vote du budget, les directeurs de région et de district sont convoqués à Port au Prince, par le directeur général. À la réunion, le Ministre nous informe d’une coupure de quarante pour cent de notre budget. De retour aux Cayes j’ai réuni le personnel et ensemble nous avions pris la décision de maintenir le même niveau d’allocation pour le sanatorium des Cayes, l’école des infirmières, l’hôpital régional et les hôpitaux de district, pour le reste des institutions, seul le carburant et le matériel d’entretien leur seront donné. Notons que les activités des programmes prioritaires étaient financées en grande partie par l’aide externe. Ont été supprimé les frais de supervision et toutes les dépenses jugées non essentielles. Malgré ces contraintes financières nous avons maintenu pour l’année la même performance. On peut se demander s’il existe aujourd’hui un tel esprit de sacrifice et une si grande détermination de servir le pays chez les professionnels de la santé.

Dans les premiers temps, j’ai visité personnellement toutes les institutions sanitaires en vue de constater les faiblesses et relever leur niveau de fonctionnement. Dans ce domaine je dois rendre un hommage à mon infirmière régionale Madame Adrienne Salomon, pour son courage et son engagement dans l’amélioration de la qualité des soins. Nous avons procédé à la mise en place des bureaux de district de Jérémie et de Miragoâne avec pour directeur respectivement les docteurs Ulrick Montas et Yves Alexandre. Deux grands travailleurs qui ont vraiment lutter pour faire avancer les actions de santé dans leur district. J’ai encore à la mémoire l’esprit d’entente et de convivialité qui existait entre nous et qui facilitait le travail malgré le manque de ressources financières. On s’arrangeait pour se supporter mutuellement. On vivait vraiment dans l’amour fraternel.

Dès la première année, nous avons sorti la première publication pour le district des Cayes et l’année suivante pour l’ensemble de la Région. Cette action était coordonnée par le Dr Gérald Lerebours le premier épidémiologiste de la région. Malheureusement il n’est pas resté longtemps dans la Région, mais grâce au dynamisme des statisticiens secondé par les directeurs de district cette action s’est poursuivie jusqu’au démantèlement des structures de gestion du Ministère en 1991. Dire qu’à l’époque on n’avait pas les facilités de l’informatique.

D’une façon générale, nous avons mis plus d’ordre dans la gestion des trois districts, du Bureau et de l’hôpital régional, en faisant respecter les normes et les règlements. La supervision était devenue la routine. Pour le district des Cayes dont j’étais également le directeur, une équipe coordonner par le Dr Elie Nicolas encore un autre grand travailleur visitait toutes les institutions une fois le mois. De mon côté en plus des visites sélectives, quand il y avait une urgence, je supervisais chaque trois mois toutes les institutions du district des Cayes et je passais chaque deux ou trois mois une semaine à Jérémie et une autre à Miragoâne suivant l’évolution positive ou négative de la situation.

Toutes les institutions privées et publiques étaient tenues d’envoyer leur rapport mensuel d’activités accompagné du rapport financier pour les publiques et de la feuille de présence des employés. Ce furent autant d’outils utilisés dans l’évaluation de la régularité et de la performance du personnel. De la sorte la couverture sanitaire a été portée dès la troisième année à plus de 80% en comptant les agents de santé. La couverture vaccinale grâce à la stratégie avancée, atteignit un niveau qui a permis l’éradication de la polio et de la rougeole, les cas de diphtérie et de coqueluche étaient rares, seul le tétanos néonatal constituait encore un problème. Avec le sérum oral, l’éducation sanitaire et les activités d’assainissement et d’eau potable, la mortalité infantile avait chutée. La réduction de la mortalité maternelle utilisée comme porte d’entrée du système avait connue beaucoup de succès. Tandis que la planification familiale accusait encore certaines faiblesses.

Mes dernières années aux Cayes

Le départ des Duvalier n’a pas été sans conséquence pour le secteur de la santé si fort dans la région Sud. Le mot d’ordre des hommes politique de l’époque était qu’il fallait tout détruire de ce qui rappelait la dictature et qu’ils allaient reconstruire un système disent-il démocratique. Le 31 janvier 1986 à l’occasion du faux départ du président de la République, toutes les institutions de santé qui avaient le programme de distribution alimentaire étaient systématiquement pillées. Certains équipements médicaux ont été volés par des fonctionnaires malhonnêtes.

Ma maison a failli être déchouquée n’était ce l’intervention divine. J’étais en réunion à Port au Prince, quand le matin du 31 janvier vers les onze heures, l’un de mes frères qui était dans la maison m’appelle pour me dire : « Zette, les gens disent qu’ils vont venir maintenant chez toi, après avoir pillé et brûlé plusieurs maisons de hauts fonctionnaires dans la ville des Cayes ». Moi, j’habitais gelé plage à quelques six kilomètres de la ville, pour ceux qui ne connaissent pas très bien les Cayes. Je lui ai répondu : « sors de la maison, laisses les faire, ne te fais pas frapper. Peu importe, si le Bon Dieu leur laisse toucher à ma maison, il me donnera une autre plus grande et plus belle, car cette maison je l’ai construite à la sueur de mon front ». En entendant ces mots mon frère me dit qu’il a ressenti une force, il s’est jeté dans la foule en leur disant : « mesye, nou pa ka di, nou pral krase kay Bijou, mwen la a avèk nou, kay Bijou se kay mwen, se kay sè m’ » l’un d’entre répondit : « non mesye, nou pa kab kraze kay nèg la, li la a avèk nou » un autre de dire : « yo di nou se pou nou kraze tout bèl kay » il y eut des discussions entre les chefs et ils ont conclu qu’on ne peut pas toucher à cette maison. Je dois dire que cinq années après, le Bon Dieu m’a donné une deuxième maison plus grande dans un quartier très convoité de la capitale. Ma foi a été doublement récompensée.

Entre 1986 et 1988, nous avions connu des moments très difficiles, marqués par des grèves, des manifestations, des déchoucages, et des contestations. Tout ceci n’était pas au dessus de mes capacités de poursuivre ma mission. Appuyée par une équipe de techniciens compétents et dynamiques, ma détermination de servir les plus pauvres ne faisait que grandir de jour en jour. Signalons qu’au cours de cette période, à la demande du Ministre de la Santé le Dr Michel Lominy, les directeurs centraux m’avaient désignée à l’unanimité pour être le directeur général du Ministère de la Santé. Honneur que J’ai refusé. Les raisons étaient les suivantes : je ne me sentais pas assez mature pour remplacer le directeur sortant, ensuite je voulais continuer et achever mes expériences dans le Sud, car nous aussi nous avions souhaité l’instauration d’un système politique démocratique pour mieux développer notre technique, en troisième lieu, sur le plan économique, je n’étais pas prête à briser ma carrière technique, avec les risques de devoir par la suite quitter mon pays pour d’autre terres économiquement plus attrayantes; ceci malgré mes convictions professionnelles.

Durant les deux années de la transition, nous avions connu trois Ministres et trois directeurs généraux. En dépit de tout, nous avions lutté pour maintenir la même performance au niveau des institutions. Les professionnels de la santé s’occupaient de la mise en œuvre de la politique sanitaire et non de la politique de partis. Le 11 septembre 1988 nous avions réalisé la première journée de la campagne nationale de vaccination à la satisfaction de tous,


La fin de ma mission dans le Sud

Le 24 septembre nous étions à l’évaluation de cette journée quand deux ou trois policiers accompagnés de quatre bandits, se sont présentés à ma résidence pour procéder à mon arrestation et j’ai été conduite avec mon fils de douze ans à la prison des Cayes, après quelques heures j’ai été relâchée. C’était lors le mouvement des petits soldats du Général Avril, suite au coup d’état contre le Général Namphy. C’est dans ce tableau bien triste et mal toléré par mes parents, une partie du personnel de santé et la grande majorité de la population cayenne, que j’ai mis fin à ma mission dans le Sud, après dix années de service, jour pour jour. Plusieurs médecins ont été déchouqués de leur poste a la meme periode. Ce fut le début du démantèlement du système de santé. L’objectif pour les soldats et ceux qui les supportaient était de renvoyer les responsables honnêtes de tous les secteurs y compris les militaires en vue de s’accaparer des biens de l’État, car selon leur logique, avoir le contrôle de l’administration publique était le moyen le plus sur de s’enrichir sans grand effort.

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