lundi 8 septembre 2008

Le Mouvement des Municipalités pour le Développement "MPD"

Mouvement des Municipalités pour le développement « MPD »
« Mouvman lakomin zanmi devlopman »


Mise en contexte

En Haïti, depuis des décennies, nous parlons de développement, de développement communautaire, de développement durable etc. souvent, nous répétons avec une certaine naïveté, Haïti est un pays en voix de développement ou un pays sous développé, suivant les circonstances. Pour combien de temps encore nous continuerons à répéter cette leçon?
Ne devons nous pas réfléchir sur des stratégies susceptibles de nous aider à vaincre les forces négatives qui s’opposent à l’avancement de notre pays?

Ce sera justice rendue à nos compatriotes. Ce sera faire revivre la fierté de nos ancêtres qui ont fait de notre pays au prix de leur sang, une Nation libre et souveraine. Nous sommes tous d’accord qu’il faut la décentralisation, mais quelle peut être la stratégie?

La constitution de 1987 en dépit de ses faiblesses nous donne les moyens pour mettre en place certaines stratégies innovatrices nous permettant de contourner les difficultés inhérentes à l’inefficacité séculaire de l’administration centrale. Il s’agira pour nous de renforcer la gouvernance locale et la participation de la population.

Définition du concept « MPD »

La Municipalité ou la commune est un espace géographique déjà défini par la constitution de 1987 et les lois du pays. Cet espace englobe un centre ville ou zone urbaine et des sections communales ou zones rurales en nombre varié. La municipalité est dirigée par une commission dénommée commission communale assistée d’un conseil d’administration pour chaque section communale; tous élus au suffrage universel. La municipalité pour le développement dispose obligatoirement d’un plan de développement intégré, lequel plan doit être le fruit de réflexions entre les autorités locales et la population.

Dans une Municipalité pour le développement, le souci premier des dirigeants est le bien être de tous les administrés; pour cela toutes les actions doivent converger vers le développement durable, cependant il n’est pas exclu de réaliser des activités ponctuelles et urgentes à caractère humanitaire et en relation avec les besoins immédiats exprimés par les citoyens.

Dans une municipalité pour le développement, tous les secteurs sont importants et doivent bénéficier de l’attention des responsables qui devront s’évertuer par tous les moyens à maximiser les ressources existantes et à mobiliser des ressources supplémentaires. Toutefois des priorités seront définies en fonction des ressources disponibles.

Bases légales

Le mouvement des municipalités pour le développement en Haïti trouve ses bases légales dans la constitution de 1987 qui fait de la décentralisation une priorité avec les communes et les sections communales comme unité de base.


Le but du mouvement des municipalités pour le développement « MPD »

Le mouvement des municipalités pour le développement a pour but de créer un environnement propice au développement durable en tant qu’instrument capable de conduire une communauté vers la paix véritable.


Les domaines d’intérêt d’une municipalité pour le développement « MPD »

Dans une municipalité pour le développement, sont pris en compte : l’environnement social, économique, écologique, culturel en un mot tous les facteurs qui conditionnent l’état de bien être d’une population. Citons l’éducation, la santé, l’eau et l’assainissement de base, l’habitat, la nutrition, la création d’emplois, la protection de l’environnement physique naturel, le sport et le loisir etc. Le mouvement vise la création d’un environnement favorable à la croissance et à la réduction de la pauvreté.

Conditions préalables pour la mise en place d’une « MPD »

Le succès du mouvement des MPD est conditionné par :

L’engagement des autorités locales
La participation effective de la population
L’appui inconditionnel du Gouvernement central


Les étapes de la mise en place d’une municipalité pour le développement « MPD »

Constitution d’un comité de réflexion
Sensibilisation de la population par les membres du comité de réflexion
Organisation de la population en des comités ou groupes thématiques correspondants aux différents domaines de développement
Réalisation d’un diagnostic communautaire avec une large participation de la population organisée
Élaboration d’un plan de développement à partir des réalités tirées du diagnostic et la mobilisation des ressources
Exécution des actions programmées (tout au long du processus se fera la mobilisation des ressources
Suivi et évaluation période; adaptation SOS du plan à chaque étape d’évaluation

Première étape

Le comité de réflexion peut être un groupe restreint au minimum sept personnes. Ce groupe une fois constitué devra travailler en vue de se doter d’une base légale lui permettant de bien conduire des négociations avec les différentes instances nationales et internationales concernées par les questions de développement dans le pays. De même il revient à ce groupe restreint de démarrer les activités de sensibilisation nécessaire à l’élargissement du comité sur l’ensemble des entités politiques et administratives constituant la municipalité (les sections communales)


Deuxième étape

Une fois les bases légales obtenues, les membres du comité de réflexion devront tout mettre en œuvre pour arriver à une sensibilisation de la population. Pour cela seront utilisés tous les créneaux existant et possible pour faire comprendre à la population la nécessité de s’engager dans le mouvement qui vise en tout premier lieu leur bien être. Seront organisées des réunions, des ateliers de formation, des focus groupes, des conférences débats, des journées de réflexion, des contacts individuels, des émissions de radio et de télévision dans le but de faire connaître le mouvement. À cette deuxième étape, le comité de réflexion devient d’emblée une entité élargie intégrée de représentants des différentes sections communales composant la municipalité. Le nombre de membres n’est pas limitatif.


Troisième étape

Les différentes rencontres de sensibilisation vont permettre d’identifier les domaines d’intervention à prioriser suivant le profil de la municipalité. Aussi à cette étape le comité élargi va se diviser en groupe thématiques travaillant sur des sujets divers tous touchant le développement de la municipalité. Ces différents groupes thématiques aidés de la population vont travailler à la réalisation d’un diagnostic communautaire qui servira de base à l’élaboration du plan de développement de la municipalité. Ce plan devra être conçu de façon à mettre en évidence les besoins de chaque section communale.


Quatrième étape

Le conseil d’administration du groupe de réflexion élargi travaillera sur la réalisation du diagnostic par la préparation des outils, mobilisation des ressources nécessaires, formation des personnes assignées à la collecte des informations, traitement des informations, élaboration du rapport diagnostic, présentation du rapport aux instances concernées pour discussion et appropriation. Ce rapport devra montrer les réalités (problèmes et ressources) de la municipalité par section. Il servira de base à l’élaboration du plan de développement.

Cinquième étape

Le rapport diagnostic sera remis par le comité aux autorités locales au cours d’une cérémonie officielle. Après appropriation de ce rapport diagnostic par les autorités locales et la population, ce document devient l’outil le plus important dans la planification des actions du gouvernement local. À partir de ce diagnostic, le gouvernement local aidé du comité élargi va coordonner l’élaboration du plan de développement avec une large participation de la société civile. Il est très important que la population s’implique à tous les niveaux depuis la préparation du plan jusqu’à l’évaluation des activités. L’implication de la population garantit la durabilité des actions à travers tous les changements de gouvernement.


Sixième étape

Des actions ponctuelles doivent être envisagées dès le départ du mouvement en vue de soulager la souffrance de la population. C’est ce que nous appelons des actions humanitaires. Les actions durables vont débuter à partir de cette programmation rationnelle axée sur les besoins réels de la population qui ont été identifiés lors du diagnostic. Les différentes actions seront à court, moyen et long terme, mais toutes destinées à conduire la municipalité vers le développement durable. À cette étape le mouvement doit bénéficier de l’appui politique et administratif des autorités locales. Il pourra également compté sur l’appui technique d’autres entités. La participation active de la population est indispensable.


Septième étape

Dans le but de garantir le développement harmonieux du mouvement, les entités concernées autorités locales société civile devront prendre toutes les dispositions pour établir un processus de suivi et d’évaluation périodique des actions. Ce suivi permanent permettra de rectifier à tant les faiblesses et corriger les imperfections.


Stratégie de mise en place d’une municipalité pour le développement « MPD »

La stratégie pour la mise en place de la municipalité pour le développement diffère suivant que l’initiative vient des autorités locales ou de la société civile.

L’initiative vient des autorités locales : ces dernières convoquent certains notables et leaders de la communauté en vue de former le premier groupe de réflexion. Ce groupe une fois en place les étapes se déroulent comme prévu

L’initiative vient de la société civile : cette dernière, après avoir mis en place le comite de réflexion, ce comité rentre en contact avec les autorités locales, pour leur présenter le projet en vue d’obtenir leur engagement. Cet engagement une fois obtenu les étapes se déroulent comme dans le premier cas.


Résultats attendus

Les autorités locales sont conscientes de la situation réelle de la municipalité qu’elles dirigent grâce à une meilleure connaissance des problèmes liés au développement, les ressources disponibles, les facteurs qui peuvent influencer de façon positive ou négative le développement et qu’elles s’engagent à adopter les mesures qui s’imposent.

La population est consciente de ses droits et devoirs : leur droit à des services sociaux indispensables au bien être d’une population (l’éducation, la santé, l’alimentation, l’eau, l’assainissement de base, l’habitat, l’habillement et le travail) leur devoir d’accompagner les autorités dans toutes les actions visant le développement de la municipalité, de travailler en vue de construire un futur meilleur pour leur progéniture.

Une amélioration tangible des principaux indicateurs de développement qui sont : l’accès à l’éducation de base, l’accès aux services primaires de santé de qualité, l’accès à l’eau courante, l’accès à l’assainissement de base, l’accès à l’alimentation, l’accès à un travail décent.

mercredi 3 septembre 2008

Le Cyclone Jeanne en Haïti, la prise en charge sanitaire des régions touchées

Le cyclone Jeanne

On terminait à peine la période d’urgence à Fonds Verrettes et Mapou, quand survint la catastrophe qui avait frappé la majorité des communes du haut l’Artibonite : Gonaïves, Ennery, Terre Neuve, Anse Rouge, trois communes du Nord Ouest Port de Paix, Chansolme, Bassin Bleu et une commune du département du Nord Pilate. J’étais à la conférence de Vienne sur l’utilisation de l’énergie atomique dans les domaines du développement y compris la santé, quand j’apprends la nouvelle du cyclone Jeanne. En effet, ce n’est que quatre jours après, le mardi soir que j’ai vu les images à la télévision et le Premier Ministre qui lance un appel à tous les haïtiens vivant en terre étrangère. Je devais quitter Vienne le samedi pour me rendre à Washington afin de participer à l’assemblée régionale de santé Le lendemain mercredi, j’appelle Haïti pour annoncer mon retour et là on m’apprend la nouvelle de l’incendie qui a ravagé le bâtiment logeant la salle privée et la maison des médecins résidents de l’hôpital Justinien du Cap Haïtien. Le même jour, je demande aux organisateurs de placer ma présentation pour l’après midi et je fais une réservation de retour pour jeudi. De fait j’ai laissé Vienne le jeudi pour être en Haïti le vendredi par le vol de New York. De l’aéroport, je me rends au bureau. Déjà à Vienne le soir du mercredi j’avais ébauché les grandes lignes de mon plan d’action post inondation.

Le vendredi même j’ai tenu une réunion avec le personnel, les membres de mon cabinet et quelques membres du staff technique du bureau central, j’ai distribué les tâches et déclaré la permanence. J’ai annoncé que le Ministère travaillera le samedi pour la mise en œuvre du plan d’urgence. Le samedi je me rends aux Gonaïves pour faire le constat. Sur les lieux j’ai tenu une réunion avec le comité d’urgence. Et j’ai noté quelques points faibles à renforcer en matière de prise en charge sanitaire. Déjà le comité a signalé la présence de cas de dermatoses prurigineuses et des cas d’infections gynécologiques chez les femmes dans les centres d’hébergement. Ceci est chose courante dans les cas de catastrophes naturelles, particulièrement les inondations où les gens après avoir passé des heures dans l’eau sale, sont obligés de se réfugier dans des centres d’hébergement. D’où l’importance des mesures d’hygiène appropriées dans ces centres, si l’on veut éviter d’autres catastrophes épidémiques. Nous avons visité l’hôpital La Providence qui est rendu totalement non fonctionnel.

Le soir du samedi et la matinée du dimanche, c’était le temps pour moi de finaliser le plan en y ajoutant le budget. Le soir du dimanche j’ai soumis le plan au comité multisectoriel mis en place par la primature. Encore il faut réorienter toutes nos forces sur les zones touchées. Tout le monde ne parle que des Gonaïves, mais nous du secteur santé, nous devons couvrir et de fait nous avons couvert toutes les communes de l’Artibonite et du Nord Ouest qui étaient touchées par les eaux y compris la commune de Pilate dans le département du Nord.

Le mardi qui suit nous avons renforcé notre équipe de terrain par des dermatologues et des gynécologues en raison de l’augmentation du nombre des cas de dermatoses prurigineuses et des infections vaginales chez les femmes. Fort de l’expérience de Fonds Verrettes, un psychiatre fut ajouté à l’équipe ce qui a beaucoup aidé à solutionner certains conflits entre les différents intervenants. Face à l’ampleur du problème les gens étaient nerveux, fatigués, certains étaient même au bord de la dépression.

En moins de deux semaines la situation sanitaire était rentrée dans l’ordre avec une régression de toutes les pathologies post cycloniques y compris les deux qui étaient à la hausse au lendemain des inondations. Il s'agit de la sarcoptose et des infections vaginales.

L’hôpital de Raboteau qui devrait être inaugurer le 4 novembre a été mis en fonctionnement en urgence. Mais, il ne pouvait accueillir toute la population. Grâce aux démarches de la Croix Rouge Haïtienne, bientôt arriva un hôpital de campagne de la Croix Rouge Norvégienne, durant toute la durée, le Ministère a fourni le personnel local et supporté les frais de fonctionnement de cet hôpital pour un montant mensuel de deux cent cinquante mille (250,000.00) gourdes. Dans l’intervalle il faut réparer l’hôpital La Providence car le délai prévu pour l’hôpital de Norvège est six mois, de plus avec les pluies de printemps en mars et la saison chaude cette structure ne conviendra plus. On n’avait pas complété les réparations de La Providence, quand le bâtiment logeant le laboratoire a été consumé lors d’un incendie accidentel.


Durant plus de six mois nous avons maintenu la population des deux départements et de la commune de Pilate sur haute surveillance épidémiologique et un programme d’assainissement intensif. Dieu merci nous avons traversé la période comme pour Fonds Verrette et Mapou sans aucune épidémie au contraire les pathologies sous surveillance telles que la diarrhée, la typhoïde, la malaria, les infections respiratoires aigues ont connu une baisse par rapport aux statistiques de l’année antérieure. À ce compte nous voulons remercier l’équipe des CDC qui nous avait accompagné dans la surveillance épidémiologique, tous les amis qui ont contribué à apporter des soins curatifs d’urgence à la population, les sociétés de la Croix Rouge. Les médecins sans Frontières, les médecins du monde, la brigade cubaine, les brigades de la MINUSTAH, et la coopération bilatérale.


Nous félicitons le personnel du Ministère, ceux des Gonaïves, de Port de Paix et ceux de Port au Prince qui n’ont pas marchandé leur soutien, les jeunes de la Secrétairie d’État à la Jeunesse aux sports et au Service Civique, ainsi que tous les étudiants des autres facultés en particulier ceux des Sciences Humaines FASH, de la faculté d’Ethnologie, de l’Université Lumière, de l’Université Notre Dame d’Haïti, de l’ADISH, les Agences du système des Nations Unies qui nous avaient supporté ou qui avaient manifesté le désir de nous accompagner dans les différentes actions de santé publique.


Nous garderons longtemps le souvenir de trois éminentes personnalités qui avaient fait le déplacement pour venir nous apporter leur soutien. Il s’agit de la Directrice Générale de l’Organisation Panaméricaine de la Santé, du Secrétaire d’État à la Santé des États-unis et du Ministre de la Santé de l’Uruguay.

Les critiques négatives de certains secteurs étaient de nature à nous décourager. Mais heureusement que dès les premiers jours de ma mission j’avais décidé de ne jamais citer le mot décourager ou découragement quoi qu’il arrive. Ce n’est que très tard après le cyclone Katrina aux Etats-Unis, que les haïtiens de bonne volonté ont pu se rendre compte du travail qu’avait réalisé le Ministère de la Santé pour maintenir la population libre de toute épidémie. Fort heureusement que la population des Gonaïves l’une des villes les plus exigeantes du pays avait bien apprécié le leadership du Ministère de la Santé. Au point de me décerner un certificat dont voici le libellé :

« Au Docteur Josette BIJOU, Honneur et Mérite pour l’importance de sa contribution et l’impact de son travail sur la région dans le cadre de la gestion de la phase d’urgence du cyclone Jeanne aux Gonaïves »


Je veux dénoncer cette tendance qui veut faire croire, qu’il n’y a pas de ressource humaine qualifiée dans le pays, que l’État ne prend jamais ses responsabilités. Je signale à l’attention de la population haïtienne, que si des amis nationaux et internationaux nous ont aidé dans la fourniture des soins curatifs aux malades, toutes les actions de santé publique ou de prévention ont été planifiées et exécutées par des professionnels du Ministère de la Santé mis à part une petite contribution en fumigation d’une équipe mexicaine. Nous réaffirmons que dans ces cas, seules des actions de santé publique bien planifiées et bien conduites peuvent empêcher la catastrophe épidémique, comme cela se passe dans certains pays même avec une médecine dite avancée. Aux Gonaïves dans les centres d’hébergement, le Ministère de la Santé Publique a du procéder à la distribution de vêtements aux moins de cinq ans pour prévenir les infections respiratoires aigues chez ces tous petits qui étaient nus parce que les parents avaient tout perdu.


Sept mois après Jeanne, le directeur départemental démissionne. Il faut une nouvelle fois pourvoir à son remplacement. Après quatre mois de ballottement, j’ai décidé d’accorder une promotion à l’un des médecins du département, originaire des Gonaïves, il était le directeur de l’hôpital de Raboteau et je l'avais vu à l’œuvre à l’occasion du cyclone Jeanne. Au poste de directeur départemental, il conduisit les affaires du département avec une grande détermination de réussir. On peut dire qu’il est un fonceur, au point de recevoir à l’occasion du 7 avril 2006 la plaque du millénaire en santé. Grâce à son dynamisme et son savoir faire avant le départ du Gouvernement de transition le département sanitaire de l’Artibonite l’un des plus frappés par la crise socio politique et le cyclone Jeanne pouvait s’enorgueillir d’un réel renforcement de ses capacités de fournir des soins à la population, par la réhabilitation non seulement de l’hôpital départemental mais aussi l’achèvement de l’hôpital de Ka Soleil, la réhabilitation de plusieurs centres de santé et la construction avec l’appui du Gouvernement du Canada d’un bâtiment logeant le bureau départemental. Notre seule déception, c’est de n’avoir pas eu la chance de concrétiser le projet d’aménagement du pavillon dermatologique Père OLIVIER en mémoire de ce pionnier de la lèpre emporté par les eaux lors de cette catastrophe.

Mon Itinéraire professionnel, ma Mission à Jean Rabel

Ma mission à Jean Rabel la première de la série

Ma résidence terminée, j’accepte de bon gré un emploi dans le Nord Ouest du pays à Jean Rabel où durant cinq longues années, j’ai rayonné sur quatre communes du far west (Jean Rabel, Bombardopolis, Baie de Henne, Mole Saint Nicolas). Ce furent des années très fructueuses sur le plan professionnel. Là j’ai commencé mes premières expériences de santé publique dans un programme de développement communautaire et de santé intégrée. C’était la première fois que Jean Rabel recevait un médecin femme. Au début on m’appelait miss. Par la suite, ils ont fini par comprendre qu’une femme pouvait être aussi médecin.

À Jean Rabel, ce ne fut pas facile, une bonne partie du travail se faisait à cheval, car il n’y avait pas de route pour voiture. Sur les quatre communes, seule Jean Rabel disposait d’un dispensaire hôpital. Nous étions deux médecins et il fallait assurer la clinique mobile sur les trois autres communes. À Bombardopolis la clinique se faisait dans une maison en location qui nous servait à la fois d’hôtellerie pour passer les nuits. De jour l’espace était transformé en salle de consultation et salle de soins et la nuit en chambre à coucher. Chaque semaine l’un des deux médecins laisse Jean Rabel pour travailler le mardi à Cabaret, le mercredi au Mole Saint Nicolas, le Jeudi à Bombardopolis, le vendredi à Mare Rouge. Ce furent des cliniques de 80 à 100 patients par journée de travail.

À l’occasion d’une épidémie de typhoïde, j’ai parcouru à cheval toutes les sections de Jean Rabel faisant l’éducation de la population et la vaccination, à l’époque c’était la norme on vaccinait contre la typhoïde lors d’une épidémie. Mentionnons que les soins étaient gratuits et les médecins n’avaient pas droit à une pratique privée lucrative selon le contrat qui nous liait à la HACHO. A ce poste, j’ai été particulièrement touchée par deux faits:

Le premier, l’absence de structure étatique dans cette région du pays, rien que pour parler santé, partout, on rencontrait une grande église des prêtres, des pasteurs et parfois des religieuses; pas un médecin, pas une infirmière, pas un hôpital, pas un laboratoire. Au Mole Saint Nicolas le prêtre catholique un étranger, s’improvisait dentiste, médecin et faisait même des interventions chirurgicales, naturellement beaucoup de patients mouraient.

Le deuxième, le contraste qui existait entre les habitants d’une petite communauté, certains vous parlent de leur tournée en Europe, de la tour Eifel et d’autres n’ont jamais visité Port de Paix, le chef lieu du département il ne peuvent même pas manger à leur faim. Je me rappelle encore les menaces de famine cyclique.

Rentrée à titre de médecin attaché au projet, dix huit mois après, je deviens coordonnateur de la plus grande unité, qui est celle de Jean Rabel avec ses quatre communes. Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années. Durant plus de trois années, j’ai conduit les activités du projet avec beaucoup de sérieux, en faisant montre d’une grande aptitude pour l’administration et la gestion. À ce poste, j’étais responsable de la supervision du personnel médical, de la coordination des agronomes, des ingénieurs, des spécialistes en développement communautaire, ainsi que des activités de construction et d’entretien de routes, de construction d’école, de construction de dispensaire, d’organisation des communautés, de la production agricole et de l’élevage, même le loisir n’était pas négligé.

Première femme parvenue à ce poste, c’était pour moi un défi à relever. D’ailleurs mon directeur le Dr Carlos BOULOS en me remettant ma lettre de promotion, après trois semaines d'hésitation m’a parlée en ces termes : « j’ai du braver les protestations de plusieurs confrères pour vous confier ce poste si convoité, vous devez mettre tout votre sérieux pour réussir ». Le Dr BOULOS ordonna au comptable de me payer pour le mois, le salaire de coordonnateur.

Ce fut vraiment une période fructueuse dans ma carrière professionnelle, où en compagnie de deux infirmières hygiénistes expérimentées, j’ai appris mes premières notions d’épidémiologie, d’assainissement, de statistiques. Les supervisions régulières de l’administration centrale, m’ont été également très bénéfiques sur le plan de la gestion. De même, le caractère multidisciplinaire du projet a fait de moi un technicien vraiment polyvalent.

Au départ du Dr BOULOS, qui fut remplacé par le Dr William FOUGERE, ce dernier me répétait souvent : « Dr BIJOU vous travaillez trop bien, vous devez continuer vos études pour une maîtrise en santé publique, afin de valoriser vos expériences ». Enfin à titre de récompense le Dr FOUGERE me recommanda au Département de la Santé pour une bourse d'étude. La demande fut agréée et une bourse de maîtrise en santé publique au Mexique me fut octroyée. Je dois quitter Jean Rabel Ce ne fut pas chose aisée. Une semaine avant mon départ, ma résidence était transformée en une maison mortuaire. C’était un va et vient continuel des gens qui se demandaient qu’est ce qui va se passer après mon départ? Ils se posaient toutes sortes de questions, car, ils se souviennent que, chaque fois qu’un médecin arrivait à Jean Rabel, c’était pour une courte visite de prospection; après huit jours il s’en allait sans nouvelle.

. Enfin le samedi 1er février 1975, j’ai plié bagages dans les larmes. Dans une brillante et sympathique allocution le personnel infirmier originaire de Jean Rabel a résumé l’essentiel de ce qu’a été ma mission dans ce coin de terre vraiment défavorisé où même la nature est peu clémente.



Allocution prononcée par une auxiliaire à l’occasion de mon départ définitif
De Jean Rabel le 1er février 1975

Mes chers amis,

Chère docteur Bijou,

Une collaboratrice, une conseillère, une amie termine sa journée à Jean Rabel. Quelle belle page n’as-tu pas écrite pour notre communauté et pour nous-mêmes?

Pendant cinq longues années, tu nous as fait le don de ta jeunesse, de tes connaissances, de ta générosité. Qu’une jeune demoiselle ait accepté de se dévouer de tout cœur à notre avancement dans un milieu si éloigné, où la nature elle-même est sans clémence; voilà le fait percutant. Tu aurais pu faire comme les autres, c'est-à-dire refuser de venir; tu aurais pu venir pour une courte visite de prospection, puis repartir définitivement. Mais tu savais que tu avais le meilleur de toi-même à donner et tu réalisais qu’il fallait la donner là où le besoin était le plus grand.

On se souviendra que la féminité n’a jamais été pour toi un handicap et que ta devise était que pour un homme, un autre méritait de se sacrifier. Aussi tu enfourchais fièrement ton cheval et prenais le sentier des mornes chaque fois que l’urgence médicale, agricole ou autre était à porter vers telle zone. Les régions de Bombarde, de l’Anse à Chatte furent ton dernier calvaire; un manque de sang froid, un glissement de terrain, une mauvaise bête et le précipice béant t’aurait prise. Tu mis plus d’ordre, plus de régularité dans la marche des choses de l’unité. Nous nous rappellerons ta présence constante dans le milieu, sur le terrain pour aider, animer, rectifier, parfois même à des dates réputées fastes par la coutume haïtienne. Il y a quatre (4) ans, tu passais les jours saints avec nous à Jean Rabel et tu faillis signer de ta vie ton assiduité. Pourtant la leçon n’a pas eu prise sur ton dévouement exemplaire et les fêtes du nouvel an 1974 te retrouvaient à la Réserve pour la campagne de vaccination.

Tu as voulu participer à l’évolution sociale du bourg, tu as voulu prêter ton assistance à l’œuvre du Centre Martin de Pores, tu faisais jouer des pièces de théâtres dont certaines ont été écrites par ton père. C’était des moments agréables où chacun avait une occasion pour réfléchir, s’évader de la grisaille et de la monotonie des jours. La population doit t’en être reconnaissante.

Que dirons-nous, nous autres, auxiliaires, de notre collaboratrice Dr BIJOU? Notre esprit est pris de vertige, le cœur tourne plus vite, la gorge est serrée, l’émotion est intense. Malgré ce désarroi intérieur, essayons de voir clair.

Certaines d’entre nous ont du attendre ton arrivée à la tête de l’Unité pour devenir des auxiliaires rémunérées; pourtant cela aurait pu être fait bien avant. Une autre pense qu’elle doit sa promotion à ta volonté manifeste de l’aider et de sauver son amour propre. D’autres auxiliaires hospitalières reconnaissent qu’elles te doivent le salaire mensuel qu’elles reçoivent de la HACHO. Tu as même établi un roulement de clinique mobile permettant aux auxiliaires stagiaires d’avoir un pourboire périodique. Toutes savent et disent que tu as plaidé et écrit pour leur réajustement de salaire.

Tu as voulu certes qu’elles fassent chaque jour mieux leur travail, en comprenant le pourquoi des gestes de routine, qu’elles puissent interpréter certains symptômes et donner certains soins urgents. Et alors furent dispensés des cours de recyclage en nursing, puériculture et médecine générale. Quelques réprimandes, les rappels à l’ordre; c’est encore en vue de nous élever à un niveau acceptable.

Tout cela disons nous, était dans l’ordre des choses puisqu’un chef imbu doit exiger de la compétence, du savoir faire de ses employés, tout en essayant de les comprendre et de satisfaire à leur attente.

Si tu as moulé l’employé médical à ta façon de concevoir les choses, tu as pensé aussi à la ménagère à l’élément social que nous sommes. En instituant un cours de savoir vivre, tu nous as apporté du nouveau dans notre vie intime, dans notre comportement, dans nos relations avec la société. Tu as donc été le parent éduqué qui nous a manqué. Ce point pouvait être négligé si tu ne nous aimais vraiment d’une âme sœur.

Voilà des faits éloquents, voilà ce qui surnage. C’est l’essentiel de ton passage parmi nous c’est ce qui restera gravé sur nos carnets de notes. En ce moment, Doc, où le cœur en écharpe, les yeux mouillés, nous saluons ton départ, reçois ces humbles baisers d’auxiliaires de toute la communauté reconnaissante

Au revoir, bon voyage, du succès sur la terre aztèque.

Reçois ces hommages, tu les mérites, c’est un devoir crois en notre sincérité de cœur.

Merci.