Ma première visite à Petit Goâve
Nous sommes au jeudi 21 octobre 2004, en pleine opération Bagdad qui a débuté le 30 septembre, je reçois la visite d’un grand ami de la famille, le Révérend père Miguel Auguste qui me parla en ces termes :
« Makomè sove m’ se sou ou mwen konte, mwen wè plizyè Minis deja men mwen gen asirans ke wap ede m’ jwenn yon solisyon »
Après quelques minutes d’échange, nous avons conclu une visite à Petit Goâve pour le samedi 23 octobre. À l’époque sous la pression de la population, toutes les portes de l’administration publique de Petit Goâve étaient fermées, le commissariat de la ville occupé par des militaires démobilisés et la route nationale conduisant aux Cayes fermée à hauteur du morne Tapion. Père Miguel ajouta je viens vous rencontrer à Grand Goave. Pour la visite nous aurons la radio et une chaîne locale de télévision.
Rentré le soir à la maison comme d’habitude, j’ouvre la télévision et la TNH qui annonce un changement de cabinet ministériel. Heureusement j’ai été reconduit. Le vendredi après l’investiture, j’aborde mon collègue de l’éducation nationale pour lui dire : je sais que tu ne te portes pas bien, demain je vais à Petit Goâve, il y a beaucoup de problèmes au lycée si tu m’autorises, je peux rencontrer pour toi les responsables et je te ferai le rapport. Il m’a répondu merci Josette, tu peux leur dire de faire préparer des bancs, cela créera certains emplois dans la ville le Ministère va leur envoyer de l’argent toutes les dispositions sont prises.
Arrivé chez moi le soir j’appelle un cousin pour lui dire que j’allais le lendemain à Petit Goâve car je n’osais en parler à mon frère Victor. Mon cousin m’a demandé où vas-tu passer, la route est bloquée à hauteur de Tapion. J’ai dit bon je vais voir.
Le samedi nous laissons Port au Prince très tôt, déjà à Carrefour j’appelle père Miguel pour lui dire que j’étais en route. Pour ce voyage j’étais accompagnée du Docteur Joël Deas, responsable du programme VIH/SIDA. Quelques minutes après, nous voilà à l’entrée de Grand Goâve où, une délégation composée du père Miguel, d’un groupe de militaires démobilisés et quelques jeunes de Grand Goâve nous attendait. Je fis mon premier arrêt pour saluer le groupe de Grand Goâve. Nous poursuivons notre route, bien escortés par deux véhicules montés de militaires démobilisés lourdement armés
A Petit Goâve nous devons dire que la visite était intelligemment préparée, les militaires nous ont conduit à l’hôpital, là je visite les locaux avec un employé qui était venu juste pour m’accueillir, car l’hôpital n’avait ni directeur médical, ni administrateur. Ce fut l’occasion pour moi de constater l’état de désolation dans lequel se trouvait ce centre hospitalier public, l’unique hôpital disposant des quatre services de base et qui dessert tout un arrondissement. Bâtiments vétustes, manque de matériels, d’équipements, de personnel et tout.
Je laisse l’hôpital pour me rendre au lycée Faustin Soulouque où les responsables m’attendaient. Nous étions en réunion quand une manifestation a débuté sur la cour de l’école. Père Miguel a vite fait de contrôler ce qui se passait. Il revient nous annoncer que les élèves veulent eux aussi me rencontrer. J’ai demandé au père Miguel de leur dire que je veux bien le faire, mais il faut cesser les manifestations, qu’ils rentrent dans une salle de classe et moi je viens les trouver sitôt que j’aurai fini avec le directeur. Ils ont obéi. Immédiatement après la réunion, je descends les rencontrer. Ils étaient tous assis par terre et moi debout car il n’y avait aucun banc dans les salles de classe. Après avoir écouté les élèves comme j’avais déjà visité le local, notre délégation se dirige vers la résidence du père Miguel pour rencontrer une organisation de jeunes. Avec eux nous avons eu quelques minutes de discussions pour conclure qu’une équipe du Ministère de la santé viendra travailler, pour définir avec eux des projets à mettre en place dans le but d’améliorer leur condition de vie comme ils le souhaitent.
Père Miguel de me dire maintenant tu vas expliquer à la radio le but de ta visite, j’ai accepté. D’ailleurs je n’avais pas le choix, car, j’avais l’impression que j’étais prise en otage par le père Miguel. Heureusement qu’il n’avait pas eu l’idée de me demander des choses qui sont contraire à la morale que je tenais à respecter.
A la sortie de la station de radio il m’a encore dit : les militaires souhaitent te rencontrer au commissariat. J’obéis, il faut aller jusqu’au bout de ta mission Josette, je me suis dite. Arrivé au commissariat j’étais très surprise de voir que le chef de ce groupe était un de mes anciens employés à Belvil. C’était facile de détendre l’atmosphère un peu hostile au Gouvernement qui, selon eux n’a pas tenu ses promesses envers ceux qui ont lutté contre la dictature d’Aristide. La visite des locaux m’a édifié sur la situation dans laquelle vivent ces hommes. Pour finir la visite j’ai demandé une rencontre avec le chef. Ce fut l’occasion pour moi de leur expliquer la politique du Gouvernement, notre mission qui n’est pas de refaire l’armée. Par contre nous avons la volonté de les aider à se réinsérer dans la vie sociale économique et même politique. Je les ai exhortés à la discipline parce que le désordre ne va nous amener nulle part sinon à la catastrophe. Ils ont l’air de me comprendre et c’est sur cette note que j’ai laissé le commissariat.
Nous sommes retournés chez père Miguel pour prendre le lunch. Après le lunch père Miguel me dit ma commère il reste une dernière étape. Il faut rencontrer les militants révolutionnaires. Je n’ai pas rechigné. Cette réunion qui s’est tenue dans un bordel était vraiment houleuse. Joël et moi nous nous sommes retrouvées face à une cinquantaine de jeunes et moins jeunes la plupart avaient une arme de poing. Ils étaient tous très nerveux. Ils nous reprochent d’être arrivé en retard. Père Miguel leur avait donné rendez vous à une heure, nous sommes arrivés à deux heures. Cette rencontre m’avait permis de mesurer mon degré de tolérance vis-à-vis des autres, en particulier les jeunes.
Je commence par détendre l’ambiance devant leur état d’énervement. J’ai pris le temps de les écouter se défouler et moi j’essaie de comprendre ce qu’ils voulaient. Finalement le chef m’a dit : j’ai lutté pendant trois années contre la dictature d’Aristide, j’ai abandonné mes cours, quand j’ai vu que les manifestations ne pouvaient pas donner de résultat j’ai pris les armes. Voilà aujourd’hui je n’ai rien bénéficié après tous ces sacrifices. Personne du Gouvernement n’est venu nous parler. J’ai ajouté me voici, je suis ici pour représenter deux Ministres de plus je peux transmettre les messages aux autres collègues. Ils ont présenté leurs doléances, le chef du groupe a repris : pourquoi je ne peux pas trouver une bourse pour aller étudier. Signalons que c’est un bonhomme qui avait fait son baccalauréat deuxième partie au lycée Faustin Soulouque. J’ai répondu : je peux vous trouver une bourse d’études mais il faut qu’il y ait de l’ordre. Le désordre dans les rues ne peut profiter à personne
J’ajoute : aujourd’hui est samedi, lundi vous ouvrez toutes les portes de l’administration publique, ce soir même vous libérez la route du Sud, vous cessez les manifestations violentes. Des véhicules confisqués je n’en ai pas fait mention. Du côté du Gouvernement nous allons tout mettre en branle pour vous donner certaine satisfaction. Ils ont fixé la date du 7 novembre pour constater quelques changements.
De fait arrivé à Port au Prince j’ai contacté d’autres collègues Ministres et le secrétaire d’état aux finances qui m’ont promis de m’aider, de même des amis responsables d’ONG et d’organisations internationales se sont joints à moi la semaine qui suit une équipe technique du Ministère de la Santé a fait le déplacement vers Petit Goave pour réfléchir avec les deux groupes de jeunes ce qu’il y a lieu de faire.
Du côté des jeunes révolutionnaires, ils ont respecté tous les engagements. Huit jours après le chef a décidé de venir à mon bureau pour m’apporter symboliquement les clefs d’un véhicule du Ministère de l’Environnement que son groupe avait séquestré. Il est arrivé accompagné de père Miguel. Il m’a saluée la tête baissée, alors je l’ai regardé et je lui ai dit : tu peux m’embrasser tu es mon fils. Il a souri. Et moi je lui fis la question suivante : tu dis que tu aimerais avoir une bourse, qu’est ce tu veux étudier?
Il m’a répondu quelque chose pour pouvoir à mon retour aider les autres jeunes. Ce garçon depuis ce jour a changé, il est actuellement en troisième année à l’université, il étudie la médecine. D’ailleurs comme tant d’autres il m’appelle « manman ». Un jour commentant avec moi les évènements de Cité Soleil il m’a dit : moi à un moment donné j’avais pris les armes pour défendre une cause, mais eux qu’est ce qu’ils veulent?
Encore une fois je remercie le Bon Dieu pour ce mal courage et cette patience qu’il m’avait donnés au cours de ces deux années.
Que sont devenus les autres jeunes? trois mois après ils ont commencé à remettre leurs armes. Certains ont repris les chemins de l’école, d’autres ont réintégré la vie normale, plusieurs ONG et Organisations Internationales ont pu établir des projets de création d’emplois dans la commune; en d’autres termes la vie avait repris. Malheureusement il n’y a pas eu de suivi de toutes ces actions après la transition, même la maison des jeunes conçue pour apporter un encadrement aux jeunes, surtout les plus vulnérables est restée inachevée et non fonctionnelle.
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