jeudi 28 août 2008

Evolution de la Santé Publique en Haïti de 1974 à 2004

Des programmes et projets relevant du domaine de la santé publique en Haïti ont existé depuis les années 50, citons : l’éradication du pian avec le Dr François DUVALIER, l’éradication de la malaria avec le Dr Carlo BOULOS, la protection maternelle et infantile et la planification familiale avec le Dr Ary BORDES, le projet de développement intégré de Petit Goâve, le projet de développement communautaire et de santé intégrée dans le Nord Ouest et l’Artibonite la « HACHO » encore une initiative du Dr Carlo BOULOS pour ne citer que cela. cependant les actions du Ministère de la santé étaient totalement médicalisées avec quelques actions de police sanitaire.

La structure sanitaire était formée à cette époque de douze districts sanitaires relevant directement du directeur général. Chaque district était dirigé par un médecin ayant le titre d’administrateur de district, ce médecin était à la fois administrateur de l’hôpital de district et le chirurgien de cet hôpital. Il n’avait aucune formation en santé publique, aussi il ne s’occupait que de son hôpital, le reste du district était totalement négligé. Le médecin administrateur était assisté d’un chef de bureau qui lui non plus n’avait aucune formation en administration.

Il a fallu attendre les années 75, pour voir s’établir dans le pays un vrai programme de santé Publique.

En 1975, le Ministère de la Santé à la suite d’analyses approfondies de la situation sanitaire du pays, et se basant sur les directives générales et les recommandations spécifiques du plan décennal de santé pour les Amériques, élabora son premier plan national de santé caractérisé par le système de Régionalisation sanitaire. Option qui devrait permettre de corriger les défaillances des districts qui, fonctionnant sous la supervision directe de la direction générale n’arrivaient pas à répondre aux attentes des populations à desservir. Dans ce plan, la Régionalisation des services de santé fut définie comme un ensemble d’éléments ordonnés en unité organico fonctionnelles susceptibles d’assurer l’utilisation méthodique des ressources humaines, matérielles et financières confiées aux institutions de santé publiques et privées. Au plan national de santé furent également annexés les documents de planification et d’organisation des activités des différentes catégories d’institutions de santé ainsi que les normes architecturales de ces différentes catégories d’institutions.

Sous le leadership du Dr Daniel BAULIEU Ministre de la Santé furent lancées officiellement les deux premières régions sanitaires le Nord et le Sud avec la collaboration technique de proximité de l’Organisation Panaméricaine de la Santé / l’Organisation Mondiale de la Santé. Deux consultants à temps plein furent affectés à chacune des régions sanitaires, soit une infirmière et un médecin. Parallèlement furent créés et / ou renforcés des bureaux de districts sanitaires dans ces deux régions. La mise en place de la régionalisation fut suivie de tout un train de mesure. Dont

· Le renforcement institutionnel avec sa double composante :

o Le Renforcement physique de toutes les institutions sanitaires publiques des deux régions pilotes. Action qui s’est par la suite étendue aux deux autres régions.

o La Formation à la spécialisation du personnel dans le domaine de la santé publique au niveau de la maîtrise et dans les disciplines médicochirurgicales. A cette époque selon les normes le niveau de la maîtrise en santé publique était requis pour occuper une fonction de direction (centrale régionale ou de district)

o Dans le souci de former des cadres intermédiaires, furent rouvertes les écoles de formation des infirmières hygiénistes et des officiers sanitaires avec cette fois-ci une approche santé publique axée sur l’éducation et la sensibilisation de la population en vue de créer une interaction communautaire. Parallèlement 4 écoles nationales d’auxiliaires polyvalentes l’une à Port-au-Prince, la deuxième au Cap-Haïtien la troisième aux Cayes et la dernière en date aux Gonaïves ont été fondées pour pourvoir les structures de base en personnel qualifié.

L’extension de la couverture sanitaire

Dans le but d’étendre la couverture sanitaire, le Ministère a envisagé la création d’un réseau d’agents de santé communautaires et la construction de nouvelles institutions sanitaires. Avec cette approche, la dénomination dispensaire hôpital fut remplacée par centre de santé avec lit et ont vu le jour des centres de santé sans lit. Les dispensaires ont été maintenus comme étant la plus petite unité représentant avec les centres de santé, le premier échelon de la pyramide sanitaire. Les normes de couverture sanitaire furent également définies soit :

o Un agent de santé pour mille cinq cent a deux milles habitants
o Un dispensaire pour cinq mille habitants
o Un centre de santé sans lit pour dix mille ainsi de suite

L’été 1978 fut la période de l’élaboration du premier programme élargi de vaccination « PEV » et le programme national de contrôle de la diarrhée et des maladies respiratoires chez les moins de cinq ans « PRONACODIAMR ». J’ai eu la chance de participer à l’élaboration du premier document du PEV. De même je me place avec une certaine fierté mêlée de déception sur la liste des pionniers de la régionalisation des services de santé. Nommée au poste de directeur régional du Sud, j’ai eu le privilège de lancer cette région pilote qui réunissait les départements du Sud et de la Grand’Anse; puisque à l’époque le département des Nippes était inclut dans la Grand Anse. Durant dix longues années, j’ai œuvré pour le bien être de la population de ces deux départements. Cette étape de ma carrière professionnelle m’a valu en grande partie ma renommée nationale et internationale.

1978, une année chargée d’évènements pour le secteur santé, ce fut l’année où les Ministres de la Santé des divers pays réunis à Alma Ata ont adoptée la résolution de conduire leur peuple à la santé pour tous d’ici l’an 2000. Haïti représenté par le Dr Willy VERRIER, Ministre de la Santé Publique adhéra à cet objectif. Des lors des objectifs spécifiques clairs furent fixés dont nous prenons plaisir à citer deux d’entre eux :

Réduire au tiers la mortalité maternelle qui était aux environs de 1000 pour 100,000 naissances vivantes.

Porter à 50 pour 1000 naissances vivantes la mortalité infantile qui était aux environs de 156 pour 1000 N.V.


De même quelques politiques publiques simples furent établies citons pour exemple :

La gratuité des soins prénatals, des urgences obstétricales et de la planification familiale,
La gratuité de la surveillance de la croissance et la vaccination des enfants de moins de cinq ans
La gratuité des soins fournis par les agents de santé

Environ 500 agents de santé ont été formés avec l’appui financier de l’USAID et payés par le MSPP pour desservir les communautés les plus reculées. Les agents de santé recrutés avec la collaboration des autorités locales, des notables et des leaders après une double évaluation basée sur leur capacité intellectuelle et leur motivation à servir leur communauté, recevaient une formation théorique et pratique durant trois mois, après laquelle ils étaient affectés dans leur communauté respective. Ils étaient appelés à fournir gratuitement les soins primaires tels que : l’éducation sanitaire, la vaccination des enfants et des femmes enceintes, l’assainissement de base, la planification familiale, quelques soins d’urgence, le suivi des tuberculeux et la référence des patients. Ils étaient placés sous la supervision directe des auxiliaires de l’institution d’affiliation. Les normes voulaient que deux agents soient confiés à la supervision d’une auxiliaire.

Vers cette époque, certaines institutions privées sans but lucratif ont changé de statut pour devenir des institutions mixtes grâce à un apport du Ministère en matériel et en personnel qualifié dans le but de garantir la qualité des soins, d’assurer la supervision des agents de santé et le respect des politiques publiques établies. De même ont vu le jour les premières pharmacies communautaires qui représentent un effort conjoint de l’état et de la population pour mettre à la disposition des institutions sanitaires les médicaments et intrants nécessaires à la fourniture des soins.

Les hôpitaux situés de préférence dans les grandes villes siège de district ou de région disposaient des agents communautaires qui étaient engagés dans le cadre du programme de protection maternelle et infantile. Contrairement aux agents de santé ils avaient un rôle plutôt éducatif. Car ils n’étaient pas formés à la prestation des soins.

Beaucoup de contestations se firent entendre. Le personnel des institutions de santé voyaient dans l’agent de santé quelqu’un qui allait renforcer le charlatanisme et leur enlever des malades. Grande fut leur surprise de voir qu’avec des agents de santé bien formés et régulièrement supervisés, la fréquentation des institutions se trouvait augmentée.
Des le début de 1980 plusieurs nouveaux centres de santé avec et sans lit ont été mis en fonctionnement avec un équipement adéquat et un personnel qualifié et en quantité répondant aux normes dans les deux régions pilote le Nord et le Sud..

Comment ne pas mentionner après le départ des consultants de l’OPS/OMS affectés aux deux premières régions sanitaires, l’apport de l’USAID à travers la première mission technique de la MSH et l’établissement de l’agence d’approvisionnement des pharmacies communautaires en médicaments et intrants «AGAPCO. ». Cette agence sans but lucratif était appelée à desservir les institutions publiques et mixtes et les pharmacies communautaires. Plus tard les pharmacies communautaires situées en dehors d’une institution se sont révélées non fonctionnelles, elles ont été fermées pour la plupart.

En août de la même année, un groupe de médecins spécialistes en Santé Publique ont pris l’initiative de fonder la première association de santé publique d’Haïti la « ASPHA ». Ce fut le début d’une nouvelle aire. On ne peut oublier les grandes mobilisations sociales conduites sous le leadership de la ASPHA, dans les différentes villes du pays Miragoâne, Gonaïves, Cap-Haïtien, Jacmel, Les Cayes, Petit-Goave au cours desquelles autorités locales, population et travailleurs de santé s’unissent autour d’un problème prioritaire de santé : l’assainissement et la surpopulation, la lèpre, la tuberculose, la participation de la communauté à la gestion des soins de santé, l’extension de la couverture sanitaire, la malaria et l’assainissement etc. Toutes ces actions avaient pour objectif de sensibiliser les autorités sanitaires sur les vrais problèmes de santé publique qu’ils faisaient semblant d’ignorer.

De même au cours des années 80 ce fut l’intégration du service national d’éradication de la malaria « SNEM » dans les services de santé d’où une réduction des activités de lutte contre le paludisme. On passa d’éradication au contrôle. Les biens et le personnel du SNEM furent rapatriés par le Ministère de la santé.

En 1981, furent déployés les premiers professionnels en service social, initiative qui avait permis de staffer les institutions sanitaires situées en zone reculées puisque tous les postes de l’aire métropolitaine ont été soustraits du service social.

Si les premières régions pilotes ont débuté leurs activités au cours des années 76, 78, ce n’est que vers les années 82 que les régions de l’Ouest et de la Transversale ont été rendues fonctionnelles.

En août 1982, à la satisfaction de tous les travailleurs de santé publique, le premier document de politique sanitaire intitulé : les grandes orientations du Ministère de la Santé Publique et de la Population fut élaboré. Dans cette politique furent définies six grandes priorités qui ont été respectées jusqu’en 1991 et ceci en dépit de tous les changements de gouvernements. Ce furent :

· La lutte contre les diarrhées infantiles avec un volet eau assainissement de base. Le projet poste communautaire d’hygiène et d’eau potable « POCHEP ».

· La lutte contre les maladies contrôlables par la vaccination, le programme élargi de vaccination « PEV »

· La surveillance nutritionnelle

· La lutte contre la tuberculose

· La protection maternelle et infantile et la planification familiale

· Le contrôle de la malaria

A partir de 1982 fut instituée la plaque de l’an 2000. C’était un hommage que faisait le Gouvernement haïtien et la Représentation de l’Organisation Panaméricaine de la Santé/ l’Organisation Mondiale de la Santé au district sanitaire le plus performant. Chaque année à l’occasion du 7 avril, la plaque était remise à un district et le nom du district était gravé sur la plaque. Un même district pouvait gagner la plaque deux et même trois années de suite suivant son niveau de performance. Ce fut le cas du district des Cayes que je dirigeais à l’époque.

En 1983 fut adopté par décret un nouveau cadre légal d’organisation et de fonctionnement du Ministère de la Santé (loi organique), ont été également introduit plusieurs stratégies innovatrices dans le but d’augmenter la couverture vaccinale : ce sont les vaccinateurs à cheval pour les zones inaccessibles, les journées communales, les postes de rassemblements tenus par des agents de santé. De fait la couverture vaccinale des moins de cinq ans atteignait les 80% dans certaines régions du pays et même 100% dans certaines communes.

Suite à une coupure inattendue du budget de la santé pour l’exercice 1982 – 1983 survinrent des difficultés énormes pour l’approvisionnement des institutions avec les risques de blocage du programme des agents de santé qui jusqu’ici prodiguaient des soins primaires gratuitement à la population, fut implantée dans la Région Sud, une stratégie nouvelle qui consistait à la mise en place d’une pharmacie de village par agent de santé. Cette pharmacie qui disposait des six médicaments autorisés pour l’agent de Santé était gérée par un comité communautaire de trois membres qui achète les médicaments sur recommandation de l’agent et vend sur prescription de ce dernier. Ces pharmacies comme les agents de santé recevaient la supervision des auxiliaires. Certains services continuaient à être gratuits comme la vaccination, la vitamine A, la planification familiale, l’éducation sanitaire.

Le premier plan national de santé prévoyait six régions sanitaires, par la suite avec le découpage national fait par le Ministère de la planification à partir des études socio - culturelles et économiques minutieusement conduites, l'état haïtien adopta pour l'ensemble des secteurs, quatre régions. Le Ministère de la Santé a du suivre cette même structure géographique afin de bien harmoniser les actions. Dans chaque région fut créé le comité de coordination régional sous le leadership de la Direction Régionale de la Planification.

De 1984 à 1990, la population s’est soudée au Ministère de la Santé Publique, dans des campagnes et journées intensives de vaccination et d’éducation sanitaire afin de faire reculer les maladies infantiles contrôlables par la vaccination et la diarrhée. Dans plusieurs villes du pays la première journée intensive de vaccination le 24 octobre 1985 pour commémorer la journée des Nations unies, a été placée sous le patronage de l’Église. Les premières doses de vaccin contre la polio ont été administrées par un prêtre ou un pasteur.

Aux Cayes, la région que je dirigeais, ce fut à la lumière de l’Évangile de l’Exode chapitre douzième les quatorze premiers versets (12,1-14) que le Curé de la Cathédrale procéda au lancement de cette première journée.

Commentant ce passage de l’évangile, dans son homélie de circonstance, le prêtre fit une double comparaison : la première entre les maladies de l’enfance et le fléau destructeur, la deuxième entre le sang de l’agneau et le vaccin. Selon cette comparaison les vaccins remplacent aujourd’hui le sang qui était posé sur les linteaux des maisons. De là il invita la population à répondre à l’appel des responsables de santé pour faire de cette journée une réussite. La réponse de la population a été tout à fait positive. Sous une pluie battante, ce fut un jour de congé, commerçants et fonctionnaires ont gagné les rues avec leur véhicule pour assurer le transport des enfants de leur résidence au poste de vaccination et vise versa. La journée a connu le plus grand succès.

Tout au long de cette lutte pour la santé, l’Église par l’intermédiaire de ses Ministres prêtres et pasteurs, en dépit de leur position vis-à-vis du pouvoir politique en place à l’époque n’avait jamais négligé de s’engager dans toutes les activités visant l’amélioration des conditions de vie du peuple haïtien.

1986 la fin du régime des Duvalier marque un nouveau tournant dans l’histoire de la santé publique en Haïti. Avec l’instabilité politique trois Ministres de la Santé en deux ans et les vagues de déchoucage et de protestations ont entraîné le départ de beaucoup de techniciens dans les institutions périphériques. Malgré cette période tumultueuse, le secteur santé a pu bénéficier en 1988 d’un crédit de la Banque Mondiale pour financer un projet de décentralisation dans la région sanitaire de l’Ouest qui réunissait les départements de l’Ouest et du Sud Est, le « First Health Project MSPP/IDA/BM », comme son nom l’indique ce fut le premier projet de santé financé par L’Agence Internationale de Développement une branche de la Banque Mondiale.

En 1990 dans le cadre du susdit projet, les normes architecturales et organisationnelles furent remaniées pour mieux les adapter aux nouvelles priorités et aux besoins d’une population croissante. Des études furent conduites pour la restructuration de l’AGAPCO. À la même époque et sous financement de ce projet fut préparé et mis en exécution le premier programme national de lutte contre la tuberculose ainsi que le renforcement du programme de lutte contre le SIDA.

De 1975 à 1990 seize années, le Ministère de la Santé a connu quinze Ministres, sans rien perdre de ses capacités d’action, car la politique de santé a demeuré inchangée de même que les stratégies. A part les mouvements populaires de déchoucage, le personnel tant technique qu’administratif compétent et honnête était respecté de toutes les autorités politiques qui avaient foi dans les valeurs.

Les retombés de toutes ces actions

Quels furent les retombés de ces actions de santé publiques sur le niveau de santé de la population ?

Ces différentes actions positives ont permis en Haïti l’élimination de la polio vers les années 90, la diminution du nombre de cas de rougeole, de diphtérie, de coqueluche, de tétanos et de diarrhée.

De façon pratique, prenons un indicateur pour lequel nous disposons des informations sur toute la période. La Mortalité infantile. L’engagement pour l’an 2000 (santé pour tous en l’an 2000) que l’on croyait être une utopie, était de ramener la mortalité infantile au plus à 50 pour 1000 naissances vivantes dans tous les pays du monde. Plusieurs pays ont dépassé ce chiffre.

En Haïti : cette mortalité est passée de 208 / 1000 en 1975 au début de l’aire de la santé publique à 156 / 1000 en 1985 soit dix années après, à 110 / 1000 en 1990 soit cinq années après et à 74 en 1995. Ces chiffres sont tirés des statistiques de santé et des enquêtes EMMUS.

Signalons qu’au cours de la période 90- 98, le système de surveillance sentinelle n’a rapporté aucun cas de polio, les autres maladies contrôlables par la vaccination telles que rougeole, diphtérie, coqueluche, tétanos étaient en nette régression, il en est de même que pour la diarrhée infantile. En 1993 Haïti a signé avec les pays de l’Amérique la certification de l’éradication de la polio dans la Région.

La situation à partir de 1991

De février à septembre 1991 le Ministère de la Santé Publique a connu deux Ministres. Toutefois, juillet 1991 reste une date inoubliable dans la mémoire des professionnels de la santé publique. Alors qu’une commission de techniciens chevronnés travaillait sur le plan de réforme administrative du secteur, par une circulaire du Titulaire de ce Ministère, toutes les structures de gestion du système centrales, régionales et de district ont été fermées et les dirigeants mis en disponibilité. Au grand mépris des normes existantes, à la direction de certaines régions et certains districts sanitaires, le spécialiste en santé publique était remplacé par un jeune médecin sans aucune expérience et parfois même un finissant du service social. Ce fut la fin de la santé publique en Haïti. Frustration!!! Déception!!! Découragement!!! On ne trouve plus de mot pour qualifier ce qui s’était passé.

Cette action n’a pas manqué de susciter la colère et l’indignation des professionnels de santé publique qui avaient investi leur temps et leur savoir dans des conditions parfois très difficiles loin de leur famille. Protestation écrite de l’association de santé publique d’Haïti la ASPHA, une lettre ouverte fut envoyée au Ministre de la Santé avec copie à toutes les instances nationales et internationales concernées par les questions de santé publique dans le pays. Ce fut la même année où les religieuses furent renvoyées de certaines institutions publiques comme l’HUEH, au mépris du contrat qui liait leur congrégation à l’État haïtien. La centrale autonome de médicaments (AGAPCO) fut fermée, ce qui a paralysé les études en cours pour sa restructuration.

Deux mois plus tard, ce fut le coup de force militaire qui renversa du pouvoir le Président de la République avec tous les problèmes qui se sont suivis; La non reconnaissance du Gouvernement provisoire par la Communauté internationale, l’embargo commercial, l’arrivée de l’aide humanitaire, l’affaiblissement de l’État pour le secteur santé, puisque les structures étaient déjà disloquées et le personnel cadre renvoyé. Pour venir en aide à la population, la communauté internationale renforce son action au niveau des ONG qui se multiplient. Beaucoup de spécialistes de santé publique au chômage vont regagner les rangs des ONG puisqu’ils n’avaient jamais développé une pratique privée lucrative en raison de leur mobilité pour servir leur pays.

En trois ans le pays va connaître trois Gouvernements et le Ministère de la Santé trois Ministres. Les institutions de santé malgré les difficultés ont tenu bon mais les programmes ont été frappés de plein fouet avec un ralentissement considérable de leurs activités. La communauté internationale tente de relever le défi, à travers ses actions d’ordre humanitaire, mais ces gestes étaient qualifiés d’ingérence par les autorités nationales en place.

En quoi consistait l’aide humanitaire qui a fait couler tant d’encre?

J’ai eu l’occasion de participer au comité de gestion de l’aide humanitaire en santé sous la direction de la Représentation de l’OPS/OMS. Dès le départ j’avais posé les conditions de ma participation. Je n’accepterais aucune discrimination. L’aide en santé doit parvenir à tout type d’institutions à but non lucratif qu’elles soient privées ou publiques. La différence doit être faite entre ceux qui ont créé, qui maintiennent l’instabilité politique dans le pays, qui en profitent et la population haïtienne victimes de cette instabilité.

De la sorte nous avions pu garantir un minimum de services à la population en fournissant aux institutions tant privées que publiques des médicaments du matériel et des intrants de toutes sortes. Nous avons même consenti moyennant la couverture d’une ONG des réparations physiques à certains centres publics. Pour exemple, le sanatorium des Cayes avec l’aide du Rotary Club des Cayes a été réhabilité à partir des fonds de l’aide humanitaire. Des sessions de formation à la gestion des médicaments ainsi que des projets sociaux : construction de latrines sanitaires et de petits systèmes familiaux d’eau potable en milieu rural furent conduits dans le Far West avec la collaboration de l’initiative de développement, de la Child Care Haïti et le comité Bienfaisance de Pignon pour ne citer que les principales ONG. Mais la liste des bénéficiaires est longue.

Cependant, il faut avouer qu’une telle performance nous a valu une double dépense d’énergie et de temps. Je me permets de saluer le courage de mon ami Jean Claude TROUIN, un canadien avec qui j’ai fait le tour du pays à la visite des institutions en vue d’informer certaines et d’apporter les intrants nécessaires à d’autres qui ne disposaient pas des moyens de se déplacer. Ce fut pour moi une nouvelle expérience parmi tant d’autres.

Les réflexions du comité de gestion de l’aide humanitaire étaient profondes, pour ne pas détruire le système de recouvrement des coûts existant dans le pays et déstabilisé le secteur, le comité avec le consentement des bailleurs de fonds de l’aide humanitaire a pris l’initiative de mettre en place la centrale de médicaments PROMESS. Une institution a but non lucratif qui travaille à rendre disponible les médicaments et les intrants nécessaires au bon fonctionnement du secteur santé. Cette institution était gérée par la Représentation de l’OPS/OMS assistée d’un comité de gestion dont je fus la présidente. A cette même époque une équipe composée du Dr Myrtha LOUISSAINT, de Madame Adrienne SALOMON, de Monsieur Frantz LAMOTHE, des amis de la CAT et votre serviteur a lancé le schéma de traitement de courte durée de la tuberculose sous financement de l’OPS/OMS. Cette action était programmée dans le projet de la Banque Mondiale mais bloqué en raison de l’embargo

Au retour à l’ordre constitutionnel après trois années de lutte pour la survie du secteur, l’État était devenu trop faible pour faire face au secteur privé qui s’est lui-même consolidé parce qu’il disposait non seulement des ressources financières de la coopération internationale mais aussi des ressources humaines qualifiées en la personne des anciens cadres du Ministère. Sans oublier la multiplication des ONG durant les trois années. Au lieu de mettre en place une stratégie pour contourner cette difficulté les dirigeants du Ministère de la Santé sans tenir compte de leurs faiblesses, ont préféré se lancer dans une lutte secteur privé secteur public pour le grand malheur du secteur santé déjà disloqué. A la même époque ils se sont lancés dans une réforme administrative sans planification, départ volontaire mise à la retraite anticipée. À croire des employés témoins de cette réforme, un beau matin, certaines institutions étaient totalement bloquées et les responsables ont du faire appel à un personnel informel pour pouvoir donner des soins aux patients. Dès lors a réapparu au sein des institutions sanitaires le régime de « personnel à gage » éliminé en 1986 – 1987, avec le Dr Michel LOMINY Ministre.

Ce bouleversement des structures de gestion et de prestation des services de santé a pesé lourd sur le secteur. Malgré les résultats favorables de l’enquête de morbidité et de mortalité de 1995, il faut toujours attendre au moins cinq ans pour mesurer l’impact en santé. En effet à la fin de l’année 2000 plusieurs cas de paralysie flasque (polio suspecte) ont été identifiés, heureusement qu’il ne s’agissait pas du retour du virus sauvage, mais plutôt une contamination à partir de virus vaccinal. Tout de même ceci était du à une accumulation des susceptibles en raison de la baisse de la couverture vaccinale chez les moins de cinq ans. Des poussées de rougeole avec un nombre élevé de décès ont été enregistrées dans plusieurs départements sanitaires. Les institutions de santé périphériques pour la plupart ont perdu leur staff, le personnel renvoyé ou déchouqué. L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti « HUEH » la principale institution de référence est devenu ingérable. La population a perdu confiance dans les institutions publiques, en même temps les privées non lucratives n’offrent pas le standard désiré. Les malades les plus pauvres sont aux abois. Les autorités de santé n’ont aucune crédibilité. Les jeunes professionnels spécialistes en santé publique n’ont plus le même engouement pour gagner les rangs de la fonction publique. À moins d’occuper la fonction de Ministre ou de directeur général, pour la majorité ils préfèrent bosser en privé dans les organisations internationales, les grandes ONG ou ouvrir leur propre cabinet de consultation. Beaucoup de spécialistes en médecine clinique refusent d’emblée les postes de province, car sous la manipulation de certains politiciens le « déchoucage » était le phénomène courant dans toutes nos villes de province.

Entre temps, les facteurs déterminants de la santé : la paix, l’éducation, l’alimentation, l’économie, l’écosystème, l’habitat poursuivent leur dégradation. Malgré les efforts déployés par les dirigeants du Ministère de la Santé, campagne de vaccination, élaboration de nouvelle politique, adoption de nouvelle stratégie « UCS » par exemple, construction de certains centres, les principaux indicateurs comme la mortalité infantile et la mortalité maternelle accusent une tendance à la hausse, la couverture vaccinale reste très faible avec pour conséquence des poussées de rougeole et de diphtérie dans les différentes communes du pays.

La mortalité maternelle est passée de 457 pour 100,000 naissances vivantes NV en 1995 à 523 pour 100,000 NV en 2000,
La mortalité infantile est passée de 74 pour 1000 naissances vivantes NV en 1995 à 80.3 pour 1000 NV en 2000,
La couverture vaccinale oscille entre 30 et 35 % chez les moins de cinq ans, tandis qu’elle atteignait les 80 à 90% les années 90.

A partir des années 97, deux nouveaux fléaux sociaux ont pris place au tableau des dix premières causes de mortalité il s’agit : du VIH/SIDA qui occupe la première place dans la mortalité chez les jeunes, mais se retrouve également chez les moins de cinq ans et les plus de cinquante ans et de la violence sous toutes ses formes. A ce compte il convient de souligner la faiblesse des statistiques puisque les médecins avaient peur de compléter le certificat quand le décès était associé à une cause violente. Des fois on ne trouvait sur le formulaire qu’un « B » qui signifiait balle dont on ignore l’origine. De plus comment ne pas citer le phénomène de la drogue comme facteur favorisant cette violence aveugle et les maladies mentales qui suivaient une courbe ascendante.

C’est dans cette situation sanitaire chaotique que va s’installer la période de transition proprement dite, car la réalité est qu’en 2004, nous étions à la dix huitième année du départ de Duvalier. Comme vous le voyez il n’y avait pas de surprise pour une personne qui suivait d’année en année l’évolution de la situation sanitaire du pays. Si j’avais accepté la fonction de Ministre de la Santé je l’avais fait en connaissance de cause avec une nette détermination de servir mon pays que j’aime et que j’estimais être dans un bourbier.

Je veux signaler combien réconfortant fut pour moi le discours du Président René PREVAL à l’investiture de son premier cabinet ministériel le 9 juin 2006, quand il a reconnu les erreurs du passé et a recommandé à son Gouvernement le respect des cadres de la fonction publique, qui sont pour la plupârt très compétents. Pour l’histoire en 1991 lors du chambardement de l’administration publique, le Président PREVAL était Premier Ministre et le Ministère de la Santé était confié à un membre actif de la PANPRA, aujourd’hui la PANPRA est membre du groupe FUSION des socio démocrates qui a la direction de ce Ministère.......

Le Président PREVAL selon toute logique dans son deuxième mandat a atteint une grande maturité, car reconnaître ses erreurs c’est grand, être capable de les confesser publiquement c’est une preuve de grandeur d’âme. Malheureusement, de ceux là ou celles là qui s’adonnent à la politique chez nous rares sont les personnalités qui sont capables de s’élever à une telle dimension.
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