Conférence prononcée à l’occasion de la commémoration
du 28ème anniversaire de l’association de santé publique d’Haïti
ASPHA
Chez nous en Haïti, nous parlons souvent de surpopulation, d’explosion démographique autant de termes les uns plus alarmants que les autres. Cependant nous ne prenons pas le temps d’analyser le phénomène, d’identifier les causes et d’essayer de trouver des solutions.
Nous disons souvent avec 8 millions d’habitants pour 27 milles kilomètres carrés, Haïti ne peut prendre la route du progrès. C’est la bidonvilisation, la promiscuité, la misère et ses corollaires.
A toutes ces personnes nous répétons ce que nous disons chaque jour : le Taïwan, un pays économiquement fort a une population de 23 millions d’habitants pour 36 milles kilomètres carrés.
Le Canada, un pays peu peuplé est obligé d’importer des ressortissants d’autres pays.
Dans le concept moderne de développement, on parle de développement humain, pour signifier que l’homme doit être au centre de tout programme, projet ou politique de développement. L’homme est à la fois ressources et charges pour un État.
En Haïti, c’est une réalité, il n’y a pas une politique de population axée sur le développement. Dans le cadre d’une bonne politique de population le problème doit être vu sous une triple dimension : Spatiale, numérique et ressource humaine, qui implique la notion de qualité.
Depuis quelques années nous assistons à un exode rural vers les grandes villes et la capitale, créant ainsi une surpopulation urbaine, avec des bidonvilles un peu partout. Ce phénomène est lié à plusieurs facteurs :
1. L’absence d’une politique de prise en charge par l’État de la population vivant en milieu rural, entraînant ainsi la non satisfaction des besoins même primaires de cette couche de population ( la santé, l’éducation, un travail, la nourriture, un logement décent)
2. L’absence des infrastructures en milieu rural (routes, électricité, terres cultivables, eau potable etc), ce phénomène porte les habitants au découragement. Aussi, ils vont ça et là à la recherche d’un certain bien être, qui est un phénomène naturel chez l’homme
Puisqu’il nous est demandé de parler de la population et l’accès aux services de santé, en plus de l’exode rural, nous ne pouvons passer sous silence la dispersion du reste de la population rurale qui constitue un obstacle à l’accès aux services de base plus particulièrement la santé et l’éducation ). Le nombre d’habitants n’est pas le plus important, nous avions déjà cité le cas de la République de Taïwan. Cependant, Il convient de mettre l’accent sur la taille de la famille. Les familles trop nombreuses au minimum 4 à 5 enfants constituent souvent un obstacle à l’épanouissement de leurs membres
Considéré sous l’angle du développement, l’homme ou la femme est une ressource à la condition qu’il ou elle soit bien formé. Aujourd’hui, faire face à la mondialisation exige une formation de qualité. En Haïti la qualité de l’enseignement, ajouté au taux élevé d’analphabétisme, constitue un obstacle à la création des opportunités.
En résumé le phénomène de population doit être considéré dans une approche multisectorielle, intéressant l’aménagement du territoire national, la planification de la taille de la famille et une formation de qualité. Autrement la population devient une charge pour l’État et non une ressource. Elle constitue un obstacle au développement du pays.
Le souci de l’accès universel aux services de santé remonte à Alma Ata en 1978, quand, tous les pays membres de l’OMS ont pris l’engagement sans précédent de faire accéder les peuples du monde entier aux soins de santé d’où le fameux objectif
« Santé pour tous en l’an 2000 ».
En référence à la carte de pauvreté d’Haïti, édition 2004 publiée en 2006, l’accès aux services de santé est l’un des indicateurs utilisés pour mesurer le niveau de pauvreté des populations des différentes communes.
À partir de Alma Ata la stratégie des Soins de Santé Primaires SSP fut adoptée par tous les pays membres de l’OMS
Nous rappelons pour nos lecteurs les 8 éléments des soins de santé primaire SSP
Une éducation sanitaire sur les problèmes de santé
La promotion d’une bonne nutrition
L’approvisionnement en eau potable et l’assainissement de base
La protection de la mère et de l’enfant y compris la planification familiale
La vaccination
La lutte contre les endémies
Le traitement des maladies et des traumatismes courants
La mise à la disposition de la population des médicaments essentiels
La structure de santé
En Haïti, également les autorités avaient opté pour la stratégie des Soins de Santé Primaires. De là avait vu le jour la régionalisation avec sa structure pyramidale ayant des agents de santé communautaires à la base et l’hôpital de l’université d’état au sommet, avec trois niveaux intermédiaires: les dispensaires et les centres de santé, les hôpitaux de district, les hôpitaux de régions.
Dans la mesure où nous définissons l’accès aux services de santé comme étant la disponibilité des dits services à moins d’une heure de marche, les agents de santé permettaient de desservir les populations dispersées. Avec 1,500 à 2,000 habitants recensés par agents de santé, la couverture oscillait entre 80 et 90%. Après quelques années, les résultats suivants étaient obtenus
• Réduction du taux de mortalité maternelle
• Réduction du taux de mortalité infantile
• Réduction de la mortalité infanto juvénile
• Augmentation de la couverture vaccinale entre 80 à 85% de la population des moins de cinq ans
• Éradication de la polio
Le Comportement de la mortalité infantile
Années Taux pour 1000 N.V.
1960 221
1975 208
1985 156
1990 110
1995 74
2000 80.3
Parlant d’accès aux services il est important de dire un mot des facteurs qui influencent l’accès aux services de santé
Le facteur géographique
Le facteur démographique
Le facteur économique
Le facteur culturel
Le facteur fonctionnel
Facteur géographique
L’éloignement des ménages par rapport à leurs institutions de santé de référence. Ce phénomène est plus important en zone rurale où nous constatons une population très dispersée, que seules des stratégies agressives et innovatrices peuvent atteindre.
Facteur démographique
La concentration de la population autour des grandes villes et de la capitale créée par l’exode rural incontrôlé, est un obstacle à la dispensation des soins de qualité. De même elle rend difficile toute planification rationnelle des besoins en services de santé de cette population, qui dans ces cas vont recourir aux charlatans et à l’automédication
Les facteur économique
Les soins de santé en Haïti sont financés à plus de 40% par les familles. L’enquête EMMUS IV en 2005 a montré que à 85 % les femmes enceintes ne bénéficiaient pas des soins de santé pour des raisons d’ordre économique
Les facteurs culturels sont surtout d’ordre religieux
L’influence du vodou qui attribue la maladie à un mauvais sort ou un péché
L’utilisation des services de planification familiale était découragée par l’Église catholique
D’une façon générale, les soins préventifs ne sont pas appréciés à leur juste valeur, malgré leur gratuité.
Facteur fonctionnel
Par facteur fonctionnel, nous voulons parler du degré de dysfonctionnement des institutions sanitaires publiques. Quand elles existent, il y a souvent manque de personnel, ou manque de personnel qualifié, manque d’équipement, de matériels ou de médicaments, parfois un personnel absentéisme, les grèves etc.
Modifications dans l’organisation du système de santé
A travers le temps, on a abandonné le des régions au profit des départements sanitaires, des huit éléments des SSP on est passé au paquet minimum de services PMS, de la pyramide sanitaire à 4 niveaux à une pyramide à 3 niveaux avec la mise en place des Unités Communales de Santé UCS, on a assisté à la disparition des agents de santé, pour parler de comités locaux formés de volontaires. Ceci parait un peu utopique, quand on pense que les besoins primaires de la population ne sont pas satisfaits, quel volontariat peut on attendre d’une population insatisfaite et sans recours comme celle d’Haïti..
De même la mise en place des 58 UCS avec un Hôpital Communautaire de Référence HCR par UCS comme institutions de référence, nous pouvons dire que le MSPP n’a pas les moyens de cette politique, quand on tient compte de l’état de dysfonctionnement de l’ensemble des institutions sanitaires publiques du pays.
La stratégie des UCS remonte aux années 94, quatorze années après, combien d’UCS sont aujourd’hui fonctionnelles?
Si vous me prouvez que 14 le sont, je vais conclure qu’il nous faudra des décennies pour compléter la stratégie. Pour être sérieux, il faut que l’on cesse de rêver pour approfondir la réflexion autour des UCS.
Pour finir nous prenons plaisir à formuler ces quelques recommandations aux décideurs et à tous ceux qui ont une responsabilité quelconque de faciliter l’accès de la population aux services de santé. Il faut :
Définir une vraie politique de population axée sur les 3 dimensions
Pour la dimension spatiale : envisager la relocalisation de la population, son regroupement. Il faut créer des attractions pour faire retourner la population dans les sections et dans les villes secondaires. Créer si possible des villages promoteurs du développement où les services de base sont disponibles (santé, éducation, travail).
Dimension numérique
Il faut éduquer les jeunes et les couples à planifier la taille de leur famille. Ceci demande la collaboration de plusieurs secteurs en particulier le secteur religieux. De plus rendre disponible en tout temps et en tout lieu les méthodes de Planification Familiale "PF" pour aider les jeunes couples à réduire la taille de leur famille.
Dimension ressource humaine
Il faut une réforme du secteur éducatif qui permettra de dispenser à la population une formation de qualité. Aujourd’hui il n’y a pas de place pour la médiocrité. Il faut également une politique éducative pour faciliter l’accès à l’éducation au plus grand nombre d’habitants.
La santé étant le moteur du processus de développement, l’accès aux services de santé est un élément important dans la croissance économique. L’état haïtien doit tout faire pour vaincre les différentes barrières à l’accès aux susdits services, il doit réviser sa politique de santé ou bien se doter des moyens.
Il faut multiplier les stratégies et essayer des stratégies les unes plus innovatrices que les autres afin de contourner les difficultés. A l’avenir, il convient par une utilisation rationnelle, d’optimiser les faibles ressources disponibles. De la sorte, nos 8 millions d’habitants ne seront plus une charge mais ils deviendront ressources et contribuerons valablement à la croissance économique de notre pays
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