mercredi 3 septembre 2008

Le Cyclone Jeanne en Haïti, la prise en charge sanitaire des régions touchées

Le cyclone Jeanne

On terminait à peine la période d’urgence à Fonds Verrettes et Mapou, quand survint la catastrophe qui avait frappé la majorité des communes du haut l’Artibonite : Gonaïves, Ennery, Terre Neuve, Anse Rouge, trois communes du Nord Ouest Port de Paix, Chansolme, Bassin Bleu et une commune du département du Nord Pilate. J’étais à la conférence de Vienne sur l’utilisation de l’énergie atomique dans les domaines du développement y compris la santé, quand j’apprends la nouvelle du cyclone Jeanne. En effet, ce n’est que quatre jours après, le mardi soir que j’ai vu les images à la télévision et le Premier Ministre qui lance un appel à tous les haïtiens vivant en terre étrangère. Je devais quitter Vienne le samedi pour me rendre à Washington afin de participer à l’assemblée régionale de santé Le lendemain mercredi, j’appelle Haïti pour annoncer mon retour et là on m’apprend la nouvelle de l’incendie qui a ravagé le bâtiment logeant la salle privée et la maison des médecins résidents de l’hôpital Justinien du Cap Haïtien. Le même jour, je demande aux organisateurs de placer ma présentation pour l’après midi et je fais une réservation de retour pour jeudi. De fait j’ai laissé Vienne le jeudi pour être en Haïti le vendredi par le vol de New York. De l’aéroport, je me rends au bureau. Déjà à Vienne le soir du mercredi j’avais ébauché les grandes lignes de mon plan d’action post inondation.

Le vendredi même j’ai tenu une réunion avec le personnel, les membres de mon cabinet et quelques membres du staff technique du bureau central, j’ai distribué les tâches et déclaré la permanence. J’ai annoncé que le Ministère travaillera le samedi pour la mise en œuvre du plan d’urgence. Le samedi je me rends aux Gonaïves pour faire le constat. Sur les lieux j’ai tenu une réunion avec le comité d’urgence. Et j’ai noté quelques points faibles à renforcer en matière de prise en charge sanitaire. Déjà le comité a signalé la présence de cas de dermatoses prurigineuses et des cas d’infections gynécologiques chez les femmes dans les centres d’hébergement. Ceci est chose courante dans les cas de catastrophes naturelles, particulièrement les inondations où les gens après avoir passé des heures dans l’eau sale, sont obligés de se réfugier dans des centres d’hébergement. D’où l’importance des mesures d’hygiène appropriées dans ces centres, si l’on veut éviter d’autres catastrophes épidémiques. Nous avons visité l’hôpital La Providence qui est rendu totalement non fonctionnel.

Le soir du samedi et la matinée du dimanche, c’était le temps pour moi de finaliser le plan en y ajoutant le budget. Le soir du dimanche j’ai soumis le plan au comité multisectoriel mis en place par la primature. Encore il faut réorienter toutes nos forces sur les zones touchées. Tout le monde ne parle que des Gonaïves, mais nous du secteur santé, nous devons couvrir et de fait nous avons couvert toutes les communes de l’Artibonite et du Nord Ouest qui étaient touchées par les eaux y compris la commune de Pilate dans le département du Nord.

Le mardi qui suit nous avons renforcé notre équipe de terrain par des dermatologues et des gynécologues en raison de l’augmentation du nombre des cas de dermatoses prurigineuses et des infections vaginales chez les femmes. Fort de l’expérience de Fonds Verrettes, un psychiatre fut ajouté à l’équipe ce qui a beaucoup aidé à solutionner certains conflits entre les différents intervenants. Face à l’ampleur du problème les gens étaient nerveux, fatigués, certains étaient même au bord de la dépression.

En moins de deux semaines la situation sanitaire était rentrée dans l’ordre avec une régression de toutes les pathologies post cycloniques y compris les deux qui étaient à la hausse au lendemain des inondations. Il s'agit de la sarcoptose et des infections vaginales.

L’hôpital de Raboteau qui devrait être inaugurer le 4 novembre a été mis en fonctionnement en urgence. Mais, il ne pouvait accueillir toute la population. Grâce aux démarches de la Croix Rouge Haïtienne, bientôt arriva un hôpital de campagne de la Croix Rouge Norvégienne, durant toute la durée, le Ministère a fourni le personnel local et supporté les frais de fonctionnement de cet hôpital pour un montant mensuel de deux cent cinquante mille (250,000.00) gourdes. Dans l’intervalle il faut réparer l’hôpital La Providence car le délai prévu pour l’hôpital de Norvège est six mois, de plus avec les pluies de printemps en mars et la saison chaude cette structure ne conviendra plus. On n’avait pas complété les réparations de La Providence, quand le bâtiment logeant le laboratoire a été consumé lors d’un incendie accidentel.


Durant plus de six mois nous avons maintenu la population des deux départements et de la commune de Pilate sur haute surveillance épidémiologique et un programme d’assainissement intensif. Dieu merci nous avons traversé la période comme pour Fonds Verrette et Mapou sans aucune épidémie au contraire les pathologies sous surveillance telles que la diarrhée, la typhoïde, la malaria, les infections respiratoires aigues ont connu une baisse par rapport aux statistiques de l’année antérieure. À ce compte nous voulons remercier l’équipe des CDC qui nous avait accompagné dans la surveillance épidémiologique, tous les amis qui ont contribué à apporter des soins curatifs d’urgence à la population, les sociétés de la Croix Rouge. Les médecins sans Frontières, les médecins du monde, la brigade cubaine, les brigades de la MINUSTAH, et la coopération bilatérale.


Nous félicitons le personnel du Ministère, ceux des Gonaïves, de Port de Paix et ceux de Port au Prince qui n’ont pas marchandé leur soutien, les jeunes de la Secrétairie d’État à la Jeunesse aux sports et au Service Civique, ainsi que tous les étudiants des autres facultés en particulier ceux des Sciences Humaines FASH, de la faculté d’Ethnologie, de l’Université Lumière, de l’Université Notre Dame d’Haïti, de l’ADISH, les Agences du système des Nations Unies qui nous avaient supporté ou qui avaient manifesté le désir de nous accompagner dans les différentes actions de santé publique.


Nous garderons longtemps le souvenir de trois éminentes personnalités qui avaient fait le déplacement pour venir nous apporter leur soutien. Il s’agit de la Directrice Générale de l’Organisation Panaméricaine de la Santé, du Secrétaire d’État à la Santé des États-unis et du Ministre de la Santé de l’Uruguay.

Les critiques négatives de certains secteurs étaient de nature à nous décourager. Mais heureusement que dès les premiers jours de ma mission j’avais décidé de ne jamais citer le mot décourager ou découragement quoi qu’il arrive. Ce n’est que très tard après le cyclone Katrina aux Etats-Unis, que les haïtiens de bonne volonté ont pu se rendre compte du travail qu’avait réalisé le Ministère de la Santé pour maintenir la population libre de toute épidémie. Fort heureusement que la population des Gonaïves l’une des villes les plus exigeantes du pays avait bien apprécié le leadership du Ministère de la Santé. Au point de me décerner un certificat dont voici le libellé :

« Au Docteur Josette BIJOU, Honneur et Mérite pour l’importance de sa contribution et l’impact de son travail sur la région dans le cadre de la gestion de la phase d’urgence du cyclone Jeanne aux Gonaïves »


Je veux dénoncer cette tendance qui veut faire croire, qu’il n’y a pas de ressource humaine qualifiée dans le pays, que l’État ne prend jamais ses responsabilités. Je signale à l’attention de la population haïtienne, que si des amis nationaux et internationaux nous ont aidé dans la fourniture des soins curatifs aux malades, toutes les actions de santé publique ou de prévention ont été planifiées et exécutées par des professionnels du Ministère de la Santé mis à part une petite contribution en fumigation d’une équipe mexicaine. Nous réaffirmons que dans ces cas, seules des actions de santé publique bien planifiées et bien conduites peuvent empêcher la catastrophe épidémique, comme cela se passe dans certains pays même avec une médecine dite avancée. Aux Gonaïves dans les centres d’hébergement, le Ministère de la Santé Publique a du procéder à la distribution de vêtements aux moins de cinq ans pour prévenir les infections respiratoires aigues chez ces tous petits qui étaient nus parce que les parents avaient tout perdu.


Sept mois après Jeanne, le directeur départemental démissionne. Il faut une nouvelle fois pourvoir à son remplacement. Après quatre mois de ballottement, j’ai décidé d’accorder une promotion à l’un des médecins du département, originaire des Gonaïves, il était le directeur de l’hôpital de Raboteau et je l'avais vu à l’œuvre à l’occasion du cyclone Jeanne. Au poste de directeur départemental, il conduisit les affaires du département avec une grande détermination de réussir. On peut dire qu’il est un fonceur, au point de recevoir à l’occasion du 7 avril 2006 la plaque du millénaire en santé. Grâce à son dynamisme et son savoir faire avant le départ du Gouvernement de transition le département sanitaire de l’Artibonite l’un des plus frappés par la crise socio politique et le cyclone Jeanne pouvait s’enorgueillir d’un réel renforcement de ses capacités de fournir des soins à la population, par la réhabilitation non seulement de l’hôpital départemental mais aussi l’achèvement de l’hôpital de Ka Soleil, la réhabilitation de plusieurs centres de santé et la construction avec l’appui du Gouvernement du Canada d’un bâtiment logeant le bureau départemental. Notre seule déception, c’est de n’avoir pas eu la chance de concrétiser le projet d’aménagement du pavillon dermatologique Père OLIVIER en mémoire de ce pionnier de la lèpre emporté par les eaux lors de cette catastrophe.

Aucun commentaire: