REFLEXIONS AUTOUR DE LA SITUATION D'HAITI CINQ MOIS APRES LE SEISME DU 12 JANVIER 2010
La Classe politique bouge, le Pouvoir fonce, le Peuple croupit,
C’est la situation d’Haïti environ cinq mois après le séisme du 12 janvier. Tandis que le monde entier est tourné vers le foot ball, nous haïtiens, pouvons nous oublier notre calvaire?
En effet le Pouvoir malgré ses faiblesses a profité de la situation créée par le terrible tremblement de terre, pour gagner du terrain. Déjà il a obtenu le vote de deux lois, une déclarant l’état d’urgence et l’autre consacrant une éventuelle prolongation du mandat du Président de la République.
La première loi soustrait l’exécutif de toute possibilité de contrôle de la part de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif «CSCCA», du Parlement, de la Commission de Passation de Marché «CPM» et autre. En même temps cette loi officialise une commission internationale pour la reconstruction du pays la fameuse «CIRH» si contestée par la classe politique.
Les Partis politiques crient au scandale, ils invitent le peuple, la société civile, leurs partisans et sympathisants à gagner les rues pour réclamer le retrait des lois, le départ immédiat et sans condition du Président de la République. Ils profitent pour critiquer le Conseil Électoral Provisoire «CEP» et demander son renvoi. Encore un nouveau scandale de corruption s’est produit au sein du CEP ces derniers jours. Le pays peut il supporter un renforcement de la crise économique et sociale qu’il traverse à l’heure actuelle?
Le peuple croupit dans des tentes ou des abris de fortune faits de paille, de plastic ou de haillons, flanqués dans un environnement malsain, mal entretenu, sans espoir, sans savoir le jour où il va en sortir. En effet, la population haïtienne, en particulier celle des zones frappées par le séisme vit des moments très douloureux, exposée au soleil, à la pluie et aux vents. Avec la saison pluvieuse, à chaque chute de pluie les sites sont inondés.
Tout le monde se demande à quand la délivrance. Même des jeunes se posent la question suivante : aurons nous le temps de voir la délivrance d’Haïti.
Dans ce tourbillon, j’ai décidé de placer un mot. Ceci, suite à une rencontre que j’ai eu cette semaine avec un groupe de jeunes qui, après quelques minutes d’entretien m’ont fait la déclaration suivante :
Ministre pourquoi vous ne présentez pas vos idées à la radio ou à la télévision?
Ils ont ajouté : ce sont toujours les mêmes qui parlent et seulement pour critiquer. Nous pensons que les gens qui ont de l’expérience comme vous doivent s’investir.
Dans ces quelques lignes, je vais essayer de me prononcer sur quatre points. Dont :
La loi d’urgence et la création de la CIRH
La loi prolongeant le mandat du Président
L’attitude de la classe politique
l’organisation des élections
Il est clair, que l’adoption de la loi d’urgence de 2008 était une absurdité. En effet, comment comprendre qu’un Parlement sérieux puisse donner un chèque en blanc à l’exécutif, en votant dans le vide sans aucune planification, des lois qui engagent tant d’argent. Il s’agissait de fortes sommes : 197 millions, 163 millions de dollars américains. Toute situation d’urgence demande une planification. D’ailleurs après le renvoi du Premier Ministre, le Sénateur Anacacis, un proche du Pouvoir va demander à ses collègue, sur quelle base ils vont évaluer le rapport du Premier Ministre, car il n’y avait aucune action programmée.
Pour finir la comédie, nous allons assister plus tard à une mascarade de séance pour accuser un Premier Ministre de corruption sans pouvoir établir les preuves. Là on est en droit de se demander du Premier Ministre au Parlementaire qui est le plus corrompu?
Pour revenir à la dernière loi d’urgence, c’est encore une absurdité, une loi d’urgence de dix huit mois pour reconstruire un pays. Moi, cette loi me dérange, car elle soustrait le Pouvoir exécutif à tout contrôle. Cependant, nous ne devons pas nous laisser tromper sur une question de souveraineté par rapport à la CIRH. Dans tous les cas, qu’il s’agit de don ou de prêt, les fonds alloués au pays à partir de la coopération internationale, ont toujours été soumis au principe d’une gestion conjointe. Aucune dépense ne peut être effectuée sans la non objection du bailleur ou du donateur. Nous ne devons pas donner l’impression que nous ne voulons échapper à tout contrôle.
Cependant le Gouvernement après avoir créé le fonds commun qui allait être géré par la Banque Mondiale aurait pu choisir de faire un accord avec la Banque Mondiale et dans cet accord inclure la CIRH. De cette façon il y aurait le contrôle externe par la CIRH puisqu’il s’agit de fonds externe et il resterait la possibilité du contrôle interne par les instances compétentes : CPM, CSCCA et le Parlement. De plus si le gouvernement a été contraint d’accepter une loi d’urgence créant la CIRH, comme certains proches le prétendent, pourquoi n’a t-il pas plaidé pour que le Directeur Général de la CIRH soit obligatoirement un haïtien. Quand j’ai lu sur les journaux l’avis de recrutement du Directeur Général de la CIRH, mentionnant que toute nationalité pouvait appliquer, je me suis dite : même l’exécution de la reconstruction de notre pays peut nous échapper. Nous le savons tous, la Direction Générale c’est le niveau d’exécution des actions. Quand on considère ces faits, on doit dire qu’il est vraiment important pour nous, qu’en surveillant les mauvais coups politiques, de voir ce qu’on peut tirer de bon pour ce peuple réduit aujourd’hui au dessous du niveau de la misère. Moi quand je regarde certains camps d’hébergement, je dis que nous sommes tous des fous. Car seuls les malades mentaux vivaient autrefois dans ces types d’abris.
A présent venons à l’attitude des Partis Politiques et de certaines organisations de la société civile qui demandent le retrait des deux lois, le départ du Président Préval et le renvoi du CEP. Je me suis déjà prononcée sur la non nécessité d’une loi d’urgence, qui aurait pu être remplacée par un accord qui serait ratifié par le Parlement. D’ailleurs cette loi donne lieu à trop de risque de corruption avec les chances que le peuple haïtien après avoir tout perdu, leur vie et leurs biens, soit encore les grands perdants.
Le Gouvernement annonce de grands chantiers d’infrastructures. Avec la loi d’urgence, ces travaux qui coûteront des millions vont être attribués sans appel d’offre à beaucoup de firmes internationales. Ce qui signifie : les montants donnés à Haïti vont retourner à leur pays d’origine, nous laissant quelques infrastructures routières que les problèmes environnementaux vont rapidement détruire.
Encore un autre problème, la question de l’environnement, je crois que, les politiciens, la société civile, les professionnels, tous devront, comme un seul homme exiger dans le cadre de l’urgence, qu’il soit réalisé en même temps que les infrastructures routières, des travaux de protection et de réhabilitation de notre environnement qui est la plus grande source d’insécurité pour la famille haïtienne et nos amis étrangers vivant au pays, ainsi que la relocalisation des sinistrés. Ces deux actions relèvent davantage du domaine de l’urgence.
Il est clair pour nous tous, que le pays n’a pas la capacité matérielle pour exécuter tous ces grands chantiers, mais dans un fonctionnement régulier avec respect des règles du jeu, un Gouvernement prévoyant qui défend son peuple, les procédures de passation de marché devrait être respectées ceci dans l’intérêt du pays. Dans ce cas là, un des critères d’évaluation et de sélection des firmes internationales, devrait être le pourcentage d’emplois nationaux créé. De la sorte, beaucoup de firmes internationales se verraient dans la nécessité d’établir des partenariats avec les firmes haïtiennes qui pourraient en profiter pour augmenter leur capacité opérationnelle et être mieux en mesure d’assurer l’entretien de ces routes au départ des firmes étrangères.
Quand à la loi sur la prolongation du mandat du Président, il est temps que les femmes et les hommes qui choisissent de faire la politique acceptent de s’élever au dessus de leurs intérêts personnels. Car, dans cette affaire, c’est bien le Parlement qui a ouvert la porte avec les Sénateurs de deux ans, de quatre ans et les Députés. J’ai entendu les Sénateurs et les députés proches du Pouvoir évoquer ce point. Tout de même le Président de la République doit se ressaisir, car il avait la responsabilité d’organiser les élections s’il ne l’a pas fait, il ne peut bénéficier de ses erreurs. Les choses seraient trop faciles dans ce pays. Cependant je dis qu’il doit terminer son mandat, jusqu’au 7 février. Nous ne devons pas aggraver la crise que vit notre pays.
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Les Partis politiques sont inquiets quand à la tenue des élections libres et honnêtes par le Président Préval et son CEP tant discrédité. Ce n’est pas à tort, car le Président Préval n’a rien à envier des Duvaliers et des Militaires pour ce qui concerne l’organisation des élections frauduleuses. Par contre le changement de ce CEP ne suffit pas pour garantir des élections honnêtes. La fraude électorale peut être au rendez vous même avec neuf conseillers honnêtes. Quand il est de la volonté du Pouvoir de réaliser un coup d’état des urnes, la situation devient compliquée car il dispose de beaucoup de moyens pour exécuter son forfait.
Face à cette situation, au lieu de tenter des actions habituelles non susceptibles aujourd’hui de faire bonne recette, j’aurais tendance à suggérer à la classe politique et au peuple haïtien de faire preuve d’intelligence en essayant d’innover
Demander au Président de se retirer avant son mandat pour installer un Gouvernement de transition ne fait pas l’unanimité et cela risque de compliquer la situation de la population. Ce geste se répète trop souvent, sans grand changement. Le peuple est fatigué. Oui essayons d’innover.
Nous répétons souvent il faut faire la politique autrement, il faut intégrer les jeunes dans la politique. Voilà une occasion en or pour intégrer les jeunes dans une action politique. Pour la réalisation des élections, exigeons du Pouvoir la création d’une brigade de jeunes observateurs indépendants. Au lieu de nous envoyer des observateurs de l’OEA de l’ONU qui ne comprennent rien de notre culture et qui coûtent beaucoup d’argent. Avec l’université demandons qu’il soit recruté des jeunes universitaires qui auront à observer tout le processus depuis l’établissement des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats. Ces jeunes ne doivent avoir aucun contact ni avec le Pouvoir ni avec le CEP, ni avec un quelconque Parti politique. Le PNUD par exemple qui détient un mandat des Nations Unies à la fois technique et politique, pourrait s’occuper du recrutement en collaboration avec l’université et également de la formation de ces jeunes observateurs avec l’aide des experts venus de l’étranger. Ces jeunes seraient déployés à tous les niveaux de la machine électorale et sur toute l’étendue du territoire national.
Certains diront le Pouvoir peut les corrompre. À tous ceux là qui pensent ainsi, je réponds si le Pouvoir arrive à corrompre cinq à six milles jeunes en moins de trois mois, nous devons accepter de nous retirer peut être sur l’une de nos petites îles et laisser la terre ferme aux corrompus car l’avenir de ce pays serait compromis. Vraiment, je ne verrais pas ce que quelqu’un de mon age aurait à défendre dans un tel pays. .
Pour nous résumer, nos suggestions ou recommandations sont les suivantes :
Le Pouvoir doit tout faire s’il n’est pas trop tard, pour que le Directeur Général de la CIRH soit un haïtien. Ce Directeur devra être recruté par la CIRH, sur base de compétence, d’honnêteté et d’intégrité. Ce sera une bonne chose pour Haïti, d’avoir l’exécution des actions.
En dépit de cette loi d’urgence, le Gouvernement doit faire preuve de sagesse et utiliser les procédures de passation de marché pour l’attribution des travaux d’infrastructure.
Dans le cadre de la reconstruction, le Gouvernement devra introduire dans les critères d’évaluation des firmes internationales, le pourcentage d’emplois nationaux créés, ceci offrira aux petites firmes locales la chance de trouver des partenariats et augmenter ainsi leurs capacités d’intervention à l’avenir, grâce au transfert de compétence.
les problèmes environnementaux et la relocalisation des sinistrés dans des abris décents doivent être un objet de préoccupation pour le Gouvernement. Pour toutes les raisons suscitées ces deux actions sont beaucoup plus urgentes que les infrastructures routières. De la sorte, dans le cadre du programme d’urgence et de reconstruction, des mesures concrètes doivent être annoncées à la population.
La création en collaboration avec l’université d’une brigade de jeunes observateurs indépendants pour l’observation électorale en lieu et place de certains étrangers. Par l’intégration de ces jeunes le Gouvernement donnera une preuve de sa volonté de réaliser des élections transparentes et crédibles.
La question du CEP doit trouver une solution concertée entre les acteurs politiques, pour éviter au pays de tomber dans la crise de 2000 avec la nomination des élus contestés à tous les niveaux.
Concernant une éventuelle participation de l’Église Catholique à la formation d’un nouveau CEP ou au remaniement de l’actuel, mon opinion est la suivante : que les dirigeants de la Conférence Épiscopale Haïtienne «CEH » fassent preuve d’intelligence, en refusant toute participation à la formation d’un quelconque CEP, pour garder une position neutre et critique pour mieux accompagner le peuple de Dieu dans sa douleur.
Ces suggestions représentent ma faible contribution à toute tentative visant à sortir mon pays du bourbier où il se trouve à l’heure actuelle. D’autres réflexions viendront plus tard pour parler en détail de la situation des sinistrés dans les sites d’hébergement tant de l’aire métropolitaine que des villes de province touchées par le séisme.
Dr Josette BIJOU M.D.
Email: ambijou@adverteck.com
Blog: josettebijou.blogspot.com
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